Jeux interdits fait partie des classiques du Cinéma français (d’ailleurs du Cinéma tout court), il n’obtient pas moins de huit récompenses dont le Lion d’Or à la Mostra de Venise et l’Oscar du meilleur film étranger (je pourrais ajouter également sa musique de début mondialement connue), et on comprend la place qu’il occupe dans ce paysage dès ses premières minutes. Des avions parcourent le ciel de 1940, des populations fuient vers le Sud de la France (la fameuse exode de 1940), les aviateurs tirent sur la foule, les parents de la jeune Paulette meurent. Son petit chien non plus ne survit pas à l’attaque et c’est le départ du film. Tout est centré sur la mort de ce chiot que la fillette ne veut pas accepter. Plus que celle de ses parents, c’est un symbole et bientôt une dérive créée par cette guerre affreuse. Paulette se retrouve dans une ferme où elle y fait la rencontre du petit Michel, un peu plus âgé qu’elle, tout commence.
Un des meilleurs films sur la guerre, car avant de se concentrer sur les combats et les soldats, il ancre son sujet sur les populations civiles totalement laissées à l’abandon, presque insouciantes des événements et pourtant rudement touchées par eux. Le film commence sur des plans d’avions de guerre et se termine dans un cri de désespoir. Métaphore du destin de chaque personne ayant vécu la Seconde Guerre mondiale.
Tout au long du film les enfants vont jouer avec la mort sans réellement en comprendre les tenants et aboutissants, bien qu’ils la côtoient de près à plusieurs reprises. Pour eux tout ça n’est qu’un jeu, un défi, le moyen d’exprimer leurs idées et d’expérimenter leur enfance. Ils sont tous les deux complices, la petite blonde aux grands yeux émerveillés et le garçonnet prêt à tout pour qu’elle arrête de pleurer. Et pourtant, c’est bien lui qui la fera le plus pleurer dans cette histoire.
Pleures complètement déchirant de l’actrice Brigitte Fossey (qui joue la mère dans La Boum) alors âgée de cinq ans et qui nous arrache le cœur à chacune de ses plaintes ou des ses mimiques tristes. Nous aussi on voudrait lui apporter tout et n’importe quoi pour qu’elle nous sourit un peu. Brigitte Fossey et Georges Poujouly ne nous offrent pas une performance d’acteurs, ils jouent tout simplement. Ils s’inventent un monde comme les deux rôles qu’ils interprètent et sont donc d’une justesse affolante. Je pleure au cinéma, mais rarement avec un tel pincement au cœur. La moue triste de Paulette lorsqu’elle explique que ses parents sont morts, lorsqu’elle refuse d’abandonner le cadavre de son chien, et bien plus tard encore dans le film, vous ramènent à vos propres reflets et peurs. Dans chaque larme de Paulette il y a notre angoisse de voir un jour nos parents mourir. La vision de ce visage angélique en devient insupportable tant il met mal à l’aise. Comment diable cette enfant de cinq ans peut-elle réussir à vous transmettre autant de tristesse alors qu’elle sait que tout ceci n’est que du jeu ?! Peut-être parce que les parents de Brigitte jouent leur propre rôle.
Niveau réalisation nous sommes dans les prémices de la Nouvelle Vague, Clément innove et profite pour tourner en extérieur. Ces femmes et ces hommes qui fuient la guerre, cette vache et ce cheval qui détalent dans la nature, ces enfants qui courent dans les herbes et les cimetières. Le décors réel fait du bien à cette ambiance pesante qu’un tournage en studio aurait rendue étouffante. Nous sommes loin des montages improbables de Godard ou des images tournées sur le vif de Truffaut qui sembleront des années plus tard représenter la Nouvelle Vague. Et pourtant nous sommes déjà à des kilomètres de pellicule des scénarios ou mises en scènes de Marcel Carné. Du renouveau et de la fraîcheur, tant dans les plans et la mise en scène que dans l’histoire et le jeu. Rien n’est surjoué, tout semble vrai, les actions se suivent dans une cohérence, une joie et une tristesse rassurantes. René Clément sait parfaitement dépeindre ce climat de vie paysanne éloignée du centre des affrontements. D’ailleurs le maître saura prendre le parti pris totalement opposé en réalisant quelques années plus tard Paris brûle-t-il ? qui se centre sur les affrontements aboutissant à la libération de Paris en 44. René Clément n’écrit et ne réalise donc pas ce film pour survoler le sujet de la guerre dans une hypothétique peur d’entrer dans le vif du sujet, non, il veut nous en montrer ses dérives et ses impacts sur deux êtres innocents.