Avec « JF partagerait appartement » de Barbet Schroeder, on est face à un thriller domestique des années 90, type « La main sur le berceau », avec ses codes scénaristiques reconnaissables entre mille: 1/L’ambiguïté des relations entre femmes (entre rivalité et volonté de fusion avec l’autre, vue comme un moi idéal) comme moteur de l’intrigue: une femme à qui la vie a enlevé ce qu’elle avait de plus cher (ici, la jeune femme en recherche d’appartement) s’introduit dans la vie d’une autre (la jeune femme seule dans son logis et en recherche d’une colocataire) qui semble avoir ce qui lui manque. Se rendant indispensable pour celle qui la voit comme son « amie », elle vampirisera petit à petit son existence pour mieux se l’approprier. 2/Le machiavélisme de la « voleuse » n’a d’égal que le caractère plutôt chiffe molle et concon de la dépossédée: peu importe les signaux, cette dernière mettra un temps fou à comprendre ce qui se passe, et encore plus de temps à réagir-à ce titre, la dernière demi-heure, sensée être le comble du suspens, est trois fois trop longue et aussi répétitive que les trois cent quatre-vingt-trois épisodes d’une sitcom. 3/L’entourage de la victime, assurément plus futé qu’elle, aura remarqué quelque chose de louche bien avant elle, ce qui lui vaudra tôt ou tard d’être tué (ou en tout cas, mis très mal en point) dans une série d’attaques de plus en plus improbables et grand-guignolesques. Et puisque ces films ont pour thème le côté maléfique de la féminité, une chaussure à talons ne pourrait-elle pas se révéler plus nuisible qu’on ne le croit ?


Peu de surprise, donc, dans ce film très classique, y compris dans sa touche très kistch et doucement ringarde propre à beaucoup de films hollywoodiens des années 80 à 90. Le tableau n’est cependant pas d’une négativité totale, et le métrage jouit aussi de très grandes qualités: on a ainsi droit à des effets de mise en scène assez recherchés, à l’image de cette présentation de l’immeuble, gothique à souhait, dont l’image vacillante et bleuâtre n’est pas sans rappeler « La Mouche » de Cronenberg; ou encore du motif du miroir, présent dès la scène d’introduction (un étrange plan-séquence passant des personnages à leur double dans la glace) pour ensuite se répéter tout au long du film, comme symbole assez efficace d’une géméllité perdue.


L’espace du film (il s’agit bien sûr de l’appartement du titre) est également bien géré: Schroeder joue en effet de la structure de ce riche habitat de l’Upper West Side, en renversant une à une les notions que l’on rattache habituellement au foyer: pas de sécurité ni de chaleur ici, l’appartement est bien trop grand, presque labyrinthique, et surtout trop impersonnel (il y traîne toujours des affaires en désordre ou placées au mauvais endroit, comme si l’héroïne venait d’emménager). Pas d’intimité non plus, puisque tout peut être entendu au travers des conduits de cheminée, et que les portes sont toujours ouvertes; nombreux d’ailleurs sont les plans montrant deux actions visibles en même temps par le spectateur, mais séparées par une simple cloison, pour exprimer la totale transparence qui règne au sein de la propriété. Bref, on est loin de l’alcôve familière et rassurante que l’on imagine volontiers lorsque l’on parle de « chez-soi »...et l’effet fonctionne: avant même que l’élément perturbateur n’intervienne en la personne de la colocataire envahissante, le lieu du crime paraît déjà louche, monstrueux. A tel point que l’on finit par se dire que, même sans la « méchante » du film, l’appartement à lui seul aurait pu suffire à vampiriser l’héroïne (laquelle ne se serait doutée de rien avant un certain temps, ceux souhaitant la mettre en garde se faisant tuer ou blesser au fur et à mesure, et puis de toute façon même une fois qu’elle aurait réalisé l’ampleur du danger, cela lui aurait pris un temps fou pour réagir...etc.).


Un film archi-balisé, en bref, mais avec assez de personnalité pour nous accrocher. Certainement pas du grand art, mais intéressant sur certains points. Ce qui constitue déjà, en soi, une petite réussite.

DanyB
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le 10 mai 2020

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Dany Selwyn

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