En lançant le film, je m’attendais à passer un moment agréable devant un énième film de sabre comme la production du cinéma d’action hong-kongais en a enfanté des centaines ; mais finalement, j’ai été décontenancé par une proposition vraiment singulière et frappante.
Une montagne gelée au milieu des terres chinoise ; un homme aussi figé qu'une statue, gardien d'une fleur aux vertus surnaturelles, est tiré de son sommeil de mort par des guerriers à la recherche de ladite fleur, pour sauver la femme de l'empereur. L'homme les pourfend les uns après les autres, et à la question « Qui peut être plus important que la femme de l'empereur ? », se remémore celle qu'il a aimée et pour qui il garde cette fleur immortelle et gelée, symbole d'un amour impérissable et jamais consumé.
Un synopsis qui s'arrêterait à cette courte introduction, s'il retranscrirait l'aspect mythologique de l'intrigue, ne saurait capturer l'intérêt réel de La Mariée aux cheveux blancs. À vrai dire, c'est un film presque impossible à résumer tant il est à la fois simpliste et bordélique dans la construction de son récit ; car son intérêt premier ne vient pas de son intrigue, aux personnages et problématiques archétypaux (un amour impossible entre deux membres de faction ennemis, un héritier qui refuse sa responsabilité, préférant l'amour au pouvoir, un frère et une sœur siamois dirigeant un groupuscule terroriste versant dans les rituels chamanistes – bon, dernier point peut-être plus inhabituel), mais plutôt de l'étrange objet esthétique qu'il est.
C'est un film qui s'éprouve, plus qu'il ne se comprend. LMACB, comme toute œuvre romantique, comporte une facette baroque : chaotique, bruyante, violente, dans les dérapages presque contrôlés de sa narration hasardeuse, dans ses visuels de studio ultra-stylisés aux couleurs marquées, dans ses coups d'éclats dramatiques – trahisons, déchirure entre le sens du devoir et le désir – ; et de ce fait il aurait vite fait de devenir complètement insupportable, n'eût été son autre facette, plus tendre, de laquelle se dégage une vraie grâce et poésie. Une grâce qui émane en premier lieu de ses acteurs, le couple sublime formé par Leslie Cheung – dont la sensibilité et la fragilité naturelle apportent une profondeur très émouvante à un personnage autrement assez minimaliste en matière d'écriture – et par Brigitte Lin, aussi convaincante en femme d'action froide et déterminée qu'elle le sera l'année suivante dans le dernier film de sa carrière, Chungking Express ; aussi d'un sens de l'érotisme avec lequel le cinéaste joue intelligemment, sachant osciller entre le sublime, lors des étreintes amoureuses des protagonistes, et le dérangeant : lorsque les gourous siamois sont plongés dans leurs étranges transes.
Un film sensuel donc, dont il se dégage une véritable beauté plastique lors des scènes d'amour, mais aussi brutal et jouissif dans ses scènes d'action : les combats sont extrêmement nerveux, mis en valeur par une photo très classieuse, et surtout par des choix de mise en scène percutants, notamment ces ralentis saccadés qui préfigurent ceux de Wong Kar-wai dans Les Cendres du temps l'année d'après, et qui renforcent l'aspect violent et tranchant de l'action.
Et justement, LMACB, c'est le récit d'un amour impossible vu par les corps : saignés, tranchés, brûlés sous le coup des sabres dans le feu de l'action, mais aussi sublimés, enlacés, caressés dans la plénitude de l'étreinte ; mais quand intervient le tragique et que la frontière entre la violence et la tendresse s'effondre, les corps se blessent pour blesser l'autre, se déchirent autant par l'amour que par le fer.
C'est parce qu'il arrive à créer ce rapport viscéral avec son spectateur que LMACB, petit film de sabre plutôt insignifiant au milieu d'une production hongkongaise qui connaissait alors son nouvel âge d'or, et réalisé par un cinéaste aujourd'hui principalement connu pour un film de commande mineur (Freddy Contre Jason) ; c'est parce qu'il crée ce rapport viscéral avec son spectateur que LMACB parvient à tirer son épingle du jeu, et à délivrer une tragédie amoureuse déchirante, au sens figuré comme au propre, portée par des scènes de combat d'une folie plastique et chorégraphique fascinante et de véritables moments de grâce poétiques.