S’il y a un film qui a marqué au fer rouge mon enfance durant mes périples à arpenter les vidéoclubs de mon quartier, c’est bel et bien « Jiang-Hu».
A l’âge de dix ans, j’étais en pleine découverte du cinéma hongkongais. J’essayais de voir et collectionner en K7 tous les films de Jackie CHAN possibles, j’imitais avec des pistolets en plastique les héros des films de John WOO et surtout mes premiers coups de cœurs apparurent grâce aux actrices des films « Histoires de fantômes chinois ». Ce dernier détail est important car il va déterminer l’impact que ce film aura sur moi. Bref, j’étais dans une vraie hype hongkongaise quand je découvris par hasard dans mon vidéoclub du coin un boitier avec écrit « Jiang-Hu, entre passion et gloire ».
Il va sans dire que le choc que m’a procuré ce film fut immense car je ne m’attendais vraiment pas à un wu xian pan aussi beau et émouvant !
Réalisé en 1993 par Ronnie YU, ce film raconte l’histoire de Yi Hang élevé depuis la naissance par le clan Wu Tang pour devenir un épéiste chevronné. Durant son apprentissage par son maitre qui le verrait bien prendre la succession du clan, il fera la rencontre d’une redoutable guerrière et orpheline surnommée « la Louve » dont il tombera éperdument amoureux. Sauf que cette dernière fait partie d’une secte maléfique contre laquelle le Wu Tang lutte depuis des années…
Ce film sorti durant l’âge d’or du cinéma hongkongais, à une époque où la péninsule chinoise nous offrait en masse des péloches de qualité que ce soit dans le polar, le kung-fu ou le wu xian pian. Ce genre assez méconnu en Occident avant « Tigre et Dragon » est un peu le film de super héros pour asiatiques car les personnages volent et utilisent de la magie d’entrée de façon naturelle. Ici, on ne perd pas de temps avec des origins story où un gars lambda se voit découvrir petit à petit des supers pouvoirs. Au bout de cinq minutes de métrage, on voit un homme tourbillonner dans les airs pour envoyer des poignards qui terrasseront toute une bande en un claquement de doigts. C’est beau, classe, ultra stylisé et c’est ce qui fait tout le charme du wu xian pian.
Si « Jiang Hu » sorti du lot (et fut récompensé par le festival Gérardmer en 1994 notamment), c’est qu’il marque avant tout par la qualité de ses décors et de sa photographie assurée par Peter PAU. Intégralement tourné en studio, il contient quelques séquences superbement éclairées et mises en scènes. Comme ce cours de sabre où Zhuo, enfant, manie l’épée au gré du vent devant son maître. Avec un mélange d’ombres chinoises et de soleil couchant, il donne l’impression de voir une fresque s’animer.
Ce qu’il faut saluer également, c’est la relation qu’entretiennent les deux principaux acteurs.
Le formidable et défunt Leslie CHEUNG, décédé tragiquement en 2003, joue merveilleusement bien le chevalier romanesque tiraillé entre sa loyauté et son amour fou pour son amante qu’il finira par nommer Lian. D’un personnage charmeur et arrogant, il va y imprégner toute sa grâce et sa sensibilité pour en faire un puissant combattant fragile et pétri de doutes.
Mais c’est surtout et avant tout pour la magnifique Bridget LIN que ce film a marqué ma rétine à tout jamais. D’un charisme fou, belle à en crever, elle incarne cette guerrière à la fois froide et méfiante, puis cruelle et émouvante avec une force et un magnétisme troublant.
Investis chacun dans leurs rôles, il en découle une passion charnelle entre ces deux stars peu courante dans le cinéma hongkongais. Le cinéma asiatique étant de nature assez pudique, il était rare pour l’époque de voir des acteurs s’enlacer frénétiquement ou bien s’embrasser goulûment comme des ados en rut. À moins, bien sûr, de regarder des films de catégorie 3! À ce titre, la scène de la cascade où étreintes et vols dans les airs donnent l’impression d’un ballet aérien entre deux tourtereaux est juste sublime. À se demander si les deux acteurs n’étaient pas vraiment attirés l’un envers l’autre sur le plateau!
Aussi romantique qu’il soit, le film ne perd pas non plus son statut de film d’action avec des combats assez sanglants chorégraphiés par Philip KWOK (le bad guy d’ «A toute épreuve »). Même s’ils ne sont pas mémorables (des doublures ont été utilisées pour les héros car les acteurs ne sont pas des artistes martiaux, rappelons-le), certains passages relèvent de la pure boucherie comme ce moment où un soldat se fait littéralement saucissonné par le fouet de Lian! Oui oui, on dit bien coupé en tranches façon carpaccio pour l’apéro!
Les rôles secondaires sont assez peu développés : certains sortent du lot comme le maléfique Ji Wushuang qui est en réalité un frère et une sœur siamoise dérangeants au possible, dans leurs ambiguïtés et leurs folies. Ou bien les compagnons d’enfance de Zhuo, sa sœur de cœur Ho Lu Hua (secrètement amoureuse de lui) et Pai Yu (camarade fidèle et rigolo). Et puis c’est tout ! Les personnages restants ne sont que des maîtres et généraux militaires ne servant qu’à faire avancer le récit et les enjeux dramatiques sous une sorte de pression autoritaire à l’issu inéluctable.
Car c’est en décidant de quitter leurs clans respectifs pour vivre une vie ordinaire loin de tout combats que les deux amoureux vont sceller leurs destins à tout jamais. Et faire basculer leurs univers et ceux qui s’y trouvent dans la tragédie. En effet, lorsque Zhuo se sent trahi par Lian en découvrant ses compagnons morts au combat, c’est l’émotion qui gagne face à ce qu’il va faire endurer à l’élue de son cœur.
Dévastée par le rejet de son amant alors qu’elle a affronté quantité d’épreuves pour pouvoir le retrouver, Lian va se transformer en tueuse impitoyable. La couleur de ses cheveux va dès lors virer au blanc comme pour symboliser cet amour qui l’a rendait si vivante perdu à tout jamais. Ayant compris qu’il a été manipulé, Zhuo vaincra les frères siamois mais finira seul, Lian l’ayant abandonné à son triste sort.
Des années plus tard, Zhuo vit désormais seul dans une région montagneuse reculée et garde une rose rare fleurissant tous les vingt ans dans l’espoir que Lian revienne et qu’elle guérisse du mal qu’il lui a infligé.
Mais quelle histoire déchirante ! Voir ce beau couple se former puis se briser sous la jalousie, l’ambition voire la perversion des autres représente un beau gâchis dans ce monde où il n’y a pas de place pour les sentiments. Cela montre aussi la stupidité des Hommes qui, taraudés par la responsabilité écrasante des traditions, en deviennent aveugles au point de sacrifier bêtement l’amour sincère et véritable qu’ils peuvent recevoir.
Il y a bien entendu quelques défauts dans ce film. Certes l’histoire à la Roméo et Juliette peut paraître simpliste au final pour les amateurs de Wu Xia Pan exigeants. De même que certains ralentis « hachés » peuvent rendre quelques scènes de combats un peu brouillonnes, voire vieillottes. C’est donc avec des yeux d’enfants, ce que je fus en découvrant ce film, et une admiration sans faille pour la beauté de la magnifique Bridget LIN qu’il faut voir ou revoir ce film. Une suite fut tournée la même année par un des scénaristes David WU. S’attardant plus sur des nouveaux personnages et reléguant l’intrigue de Zhu/Lian au second plan, elle n’apporte que peu d’intérêt. Les producteurs ayant voulu surfer immédiatement sur le succès du film.
Ainsi, « Jiang-Hu » permis à Ronny YU de percer à Hollywood. Après avoir tourné « Phantom Lover » une sorte de Roméo et Juliette avec Leslie CHEUNG (tiens donc), il partit aux States tourner « Magic Warrior » un joli nanar à la sauce Tortues Ninja (mais avec des kangourous) à jeter aux oubliettes. La suite de sa carrière, tout amateur de films de genre l’a connait puisqu’il a réalisé le génial « La fiancée de Chucky » qui relança la franchise de la poupée tueuse et le sympathique « Freddy contre Jason » agréable crossover entre ces deux icônes du cinéma d’horreur. Mais rien qui n’égale ce chef d’œuvre que représente « Jiang-Hu » aka « The bride with white air » et cette rencontre entre Leslie CHEUNG et Bridget LIN qui restera, pour ma part, un des plus beaux couples du cinéma hongkongais.