« Martyrs » fait partie de ces rares films de genre (avec SAW 3) à avoir été interdit au moins de 18 ans lors de sa sortie en salle en mai 2008. Considéré comme un film extrême, il est clair qu’il a fortement divisé, certains n’y voyant qu’un spectacle sans intérêts où une femme se fait battre non stop pendant trente minutes.
Mais la violence d’un film est-elle gratuite si elle n’est pas comprise ? Faut-il blâmer un film, lorsqu’un réalisateur a l’audace de faire une œuvre radicale, sans concessions, pour aller jusqu’au bout de ses idées ?
Nous allons essayer de comprendre pourquoi « Martyrs » a tant remuer les esprits, allant même jusqu’à créer des manifestations contre la censure devant le Ministère de la Culture suite à sa classification.
La grande qualité de « Martyrs », lors de sa première vision, est que l’on ne sait pas où le film va nous mener. L’histoire commence par un flashback en 1970 où une petite fille s’échappe d’un entrepôt complètement amochée, visiblement mal en point. Recueillie dans un orphelinat, la petite Lucie va faire la connaissance d’Anna qui va la prendre sous son aile.
Quinze ans plus tard, changement d’atmosphère. Nous découvrons le quotidien d’une famille bien sous tout rapport. Des parents aimants, des enfants qui se chamaillent, on se croirait en plein épisode d’une sitcom AB. D’entrée, il faut noter que le réalisateur Pascal LAUGIER s’amuse à brouiller les pistes avec sa mise en scène, nous faisant croire que la fille se fait poursuivre par un tueur alors qu’il ne s’agit que de son grand frère. Mais lorsque quelqu’un sonne à la porte, le drame commence.
D’une ambiance que l’on croirait sortir d’une pub NESTLE, le film vire soudain au pur slasher où tous les membres de la famille se font abattre salement un par un. Les impacts sont gores et les murs de la somptueuse maison désormais repeints aux couleurs du sang de ses habitants. Nous comprenons qu’il s’agit de Lucie (incroyable Mylène JAMPANOÏ), bien décidée à se venger des horreurs qu’elle a subies. C’est la première baffe que nous assène le film et elles seront nombreuses. Perturbée, Lucie perçoit des visions sous la forme d’un fantôme qui l’a persécute tandis qu’Anna (Morjana ALAOUI, la révélation du film) vole à son secours pour essayer tant bien que mal de sauver les meubles.
Cette fois-ci, nous changeons de registre pour basculer dans une sorte d’ambiance à la « J-Horror » avec ce monstre dont la façon de bouger et de crier n’est pas sans rappeler « THE RING » et que seule Lucie semble percevoir. Nous comprenons que c’est le principal traumatisme qu’a engendré sa séquestration, Lucie étant hanté par la vision d’une femme capturée qu’elle n’a pu sauver en s’échappant. Sa culpabilité la ronge au point de se scarifier elle même. Mais voyant que, malgré sa vengeance, sa souffrance est toujours omniprésente, elle se tue sous les yeux d’Anna, impuissante face à tant de désespoir. Désormais seule dans la demeure, elle découvre par la suite, une entrée cachée qui l’amène dans une sorte de dortoir froid et glacial où se trouve une femme capturée et enchainée.
Puis c’est désormais dans les territoires du « torture porn » que le film nous emmène lorsqu’Anna essaie de libérer cette victime des sévices qu’elle a subis. Affublée d’un casque littéralement vissé sur son crâne lui donnant un air de créature cyberpunk anorexique, la scène de la baignoire où elle essaie de lui enlever ce fardeau est une épreuve pour tout amateurs aguerris tant le supplice est latent. Malgré tout, la victime mettra un terme à ses jours en se coupant les veines, persuadée de voir des insectes lui sortir des bras.
Comprenant que Lucie avait bien raison sur l’identité de ses ravisseurs, ce que nous pouvions douter vu le caractère impitoyable de ces meurtres, Anna se fera malheureusement capturée elle aussi par cette organisation mystérieuse. Jusqu’à ce qu’elle fasse la rencontre de la vieille « Mademoiselle ». Et au film de dévoiler ses véritables intentions.
En montrant des photos de victimes, au fil du temps de l’Histoire, elle nous révèle qu’il est possible au corps humain d’atteindre un stade où la souffrance n’est plus, et qu’un état de transcendance nous permettrait de voir ce qu’il y aurait après la mort…
Et c’est là, la grande idée du film : cette notion de souffrance poussée à son paroxysme.
Pour que son héroïne puisse atteindre cet état métaphysique, le réalisateur fait le choix de passer par plusieurs étapes pour faire défiler le temps qui passe.
Première scène de rébellion, première scène de repas, premiers besoins faits sur une chaise… Toutes ces petites scénettes (qui peuvent être futiles mais néanmoins fondamentales) sont ponctuées de violences pures ou Anna se prend des coups à longueur de journée. Si Pascal LAUGIER s’est tant attiré les foudres sur lui, c’est parce qu’il a fait le choix de montrer cette violence de façon crue et frontale. Et ainsi pour marquer le spectateur face à la gravité de sa condition.
Il y a également des moments plus intimes où l’on voit Anna se caresser les bras toute seule témoignant son besoin de tendresse. Puis lorsque les premiers symptômes de la folie apparaissent, c’est là que l’émotion gagne. Ici pas de fantômes à la « THE GRUDGE », pas d’insectes qui sort de tous les pores comme dans « CREEPSHOW », on entend tout simplement la voix de Lucie qui lui manque et qui exprime son soutien.
C’est la première fois qu’un film d’horreur m’ait fait couler une larme. Cela prouve que lorsque le corps est accaparé par la dure condition de la réalité, l’esprit n’a plus d’autre choix que de se tourner vers ses propres obsessions et pour le cas d’Anna à ce qu’elle a de plus cher : son amour envers Lucie. Ce que l’on peut tout à fait comprendre vu les indices que nous avait laissé LAUGIER (la proposition du partage de lit étant enfant, le baiser volé). C’est ce réconfort imaginaire mais ô combien nécessaire qui va lui permettre de trouver la force de pouvoir endurer les coups. Jusqu’à la dernière étape de cette expérience morbide et malsaine : l’écorchement intégral de toute sa peau.
Dès lors, le film atteint son degré de violence maximale. On ne peut qu’être choqué, révulsé en voyant le corps d’Anna complètement décharné à l’exception de son visage.
Il faut d’ailleurs saluer le travail remarquable de Benoît LESTANG dont les maquillages contribuent énormément au malaise ressenti. Son travail sur les victimes complètements scarifiées, torturées est tout simplement mémorable. On est loin des cénobites plus caoutchouteux de la saga « Hellraiser » car en plus d’être incroyablement dérangeants, ces maquillages sont hallucinants de réalisme. Il s’agit à n’en point douter de l’apothéose d’un artiste malheureusement parti trop tôt et qui était en quelque sorte notre Tom SAVINI national.
C’est donc au spectacle d’une Anna quasi crucifiée auquel nous assistons jusqu’à ce qu’un zoom pénètre dans l’iris de ces yeux pour nous dévoiler une somptueuse nébuleuse. Etant la seule survivante d’un tel cauchemar à pouvoir rapporter ce qu’elle a vu, elle murmure à l’oreille de la Mademoiselle ce qui semble être la vie après la mort. Réunissant par la suite l’organisation (essentiellement des vieux dans l’angoisse de mourir), pour dévoiler la réponse face à ce mystère, elle se mettra une balle gardant ainsi son secret pour toujours.
Martyrs est donc un véritable coup de poing asséné au ventre mais aussi au cœur. Véritable melting-pot de plusieurs genres horrifiques, il m’a fait vivre, tel un électrochoc, ce que peu de longs-métrages ont réussi à faire. En brisant les tabous, en cassant les barrières face à la morale bien-pensante, il représente l’œuvre maîtresse de son auteur, qui par la suite, fera ses films suivants « The secret » et « Ghostland » à l’étranger. D’autres films aux intrigues « à tiroirs » où les histoires se dévoilent petit à petit telles des poupées Russes et où notre perception de la réalité est sans cesse basculée. Venu défendre la qualité artistique de « Martyrs » face à la Ministre de la Culture de l’époque Christine Albanel, elle demandera finalement une révision de son classement en l’interdisant aux moins de 16 ans.
J’aime à penser qu’Anna ait chuchoté qu’il n’y avait rien du tout après la mort. Que toutes ces atrocités commises sur ces femmes aient été inutiles et que c’est rongé par le remords que la vieille Mademoiselle s’est suicidée. C’est ça qui est bon dans le cinéma : cette capacité qu’à ce médium de nous faire sortir de notre train-train quotidien, de nous faire passer par plusieurs états d’âme et surtout de nous faire réfléchir. Les émotions ressenties durant « Martyrs » sont tout bonnement vertigineuses et nous hantent longtemps l’esprit après sa vision. Ce qui est indéniablement la marque d’un chef-d’œuvre.