Rage spirituelle et claquettes abrasives
Retour au réalisme engagé pour Ken Loach. Après deux films plus légers qui laissaient entrevoir une facette rafraîchissante de son cinéma, le réalisateur fait le choix de reprendre les armes à l’occasion d’un biopic dénonciateur d’une Irlande conservatrice placée sous l’égérie d’une église aux idées radicales.
Si le fond de Jimmy’s Hall est on ne peut plus nécessaire, sa mise en œuvre narrative, très linéaire et cousue de fil blanc, fait l’effet d’une leçon d’histoire un peu ampoulée et parfois caricaturale. Non pas que l’on puisse reprocher à Ken Loach d’arranger son histoire à son avantage, il est évident que la thématique principale de son film, reflet d’une époque où toute idée progressiste était condamnée sévèrement par une institution religieuse travaillant main dans la main avec les grands propriétaires afin que la culture et la connaissance restent l’apanage des puissants, est aussi légitime qu’elle est universelle. Il est en effet toujours bienvenu de rappeler que le contrôle des cerveaux est un outil privilégié pour contenir toute une population, d’autant plus lorsque cette dernière possède un accès très limité au savoir. Mais il manque réellement d’un souffle épique à cette aventure somme toute convenue pour captiver davantage les mirettes.
Ken Loach oblige, sa flamme gagne en intensité lorsqu’il s’adonne à ce qu’il sait faire de mieux, à savoir filmer les hommes dans leur quotidien le plus épuré, à l’occasion de quelques pas de danse, assenés sur un parquet usé par l’histoire, au rythme d’une balade jazzy envoutante, ou d’un échange très touchant entre un fils rebelle et celle qui a forgé son esprit contestataire par la force des livres. A ces moments là, Jimmy’s Hall vit pleinement, chaque scénette au dancing se fait l’écho d’une harmonie communicative à laquelle on gouterait volontiers, preuve que Ken Loach parvient à véhiculer son message.
Mais trop vite, la volonté critique reprend ses droits, soufflant l’authenticité qui commençait à se construire dans le cadre. Des personnages caricaturaux se substituent aux âmes plus profondes en même temps qu’une fin précipitée clôt les débats sans autre forme de regret qu’une escorte à vélo de chérubins reconnaissants.
Ken Loach réalise avec Jimmy’s hall un devoir de mémoire qui s’inscrit dans la logique qu’avait initiée Le vent se lève. L’intention est ici aussi plus que louable mais le film dans son ensemble manque cruellement de souffle ; s’il parvient à intéresser lorsqu’il remet en perspective le poids de la connaissance, il se laisse bien trop souvent suivre à distance parce qu’il lui manque ce soupçon d’idée qui lui permettrait de véritablement s’exprimer.