Si le – doublement – dernier film de Ken Loach semble céder à la mode qui pousse les réalisateurs à inscrire des images réelles en exergue de leurs propres œuvres, Jimmy's Hall est avant tout un film ancré dans une réalité : celle d’une Irlande post-Guerre d’Indépendance, en partie débarrassée de « l’occupant » britannique, mais soumise à ces propres démons parmi lesquels figurent – sans mauvais jeux de mots – La Sainte Eglise Catholique, les propriétaires terriens et même certains anciens membres de l’Armée Républicaine Irlandaise – the Irish Republican Army. Ainsi, ce long-métrage s’affirme comme non-manichéen et refuse une démagogie teintée d’anglophobie et/ou de raccourcis faciles, où les ennemis seraient forcément britanniques.
Déjà capturée dans Le Vent se Lève - The Wind is Blowing, en référence à une chanson propre aux rebelles irlandais – la beauté de la campagne irlandaise semble hanter le réalisateur Ken Loach tant elle impose sa présence à travers de nombreux plans, toujours aussi classiques et élégants. Si les couleurs vives de la flore gaélique sont à l’honneur, Ken Loach n’idéalise pas tant le cadre des luttes qui structurèrent sa filmographie : sinistre, humide, inhospitalière, l’Irlande rurale, loin des centres politiques de Dublin et de Belfast, est l’anti-terre promise dont revient Jimmy Gralton. En effet, et alors même que la Grande Dépression née en Amérique se propage à travers un monde déjà mondialisé, l’Irlande exsangue voit renaître le chômage, la pauvreté et la misère qui convoquent les souvenirs de la Grande Famine (1846/1848)
Véritable lettre d’amour à la modernité, incarnée ici par le Jazz grésillant surgissant du gramophone de Jimmy Gralton, Jimmy's Hall n’oppose pas les républicains et les monarchistes, les indépendantistes et les loyalistes, les catholiques et les athées, les Irlandais aux étrangers, mais bien la modernité au conservatisme, le changement à l’immobilisme incestueux. Cet affrontement, distillé dans le film à travers des scènes courtes et nerveuses, violentes et passionnées, n’occulte pourtant pas le thème principal du film : les scènes de danse, parfois frivoles et drôles, parfois tragiques, qui égrènent Jimmy's Hall. On est ainsi libre d’apprécier les chorégraphies saccadées et irrévérencieuses de cette jeunesse irlandaise, sublimées par la photographie classique et douce de Ken Loach, à laquelle la mise en scène oppose sans cesse la rigueur des palaces et églises. La dichotomie visuelle, sonore et morale ainsi constituée distille par ailleurs au sein de Jimmy's Hall une tension croissante comme la rébellion insidieuse et le séparatisme irlandais toujours fécond aujourd'hui.
La violence est donc palpable, mais n’éclate jamais réellement, sauf durant cette scène où le fameux dancing de Jimmy Gralton part en fumée sous les yeux de son propriétaire, acte bientôt dénoncée par le Père Seamus comme étant digne du Ku Klux Klan. Omniprésente, l’opposition entre cet irlandais insoumis et les puissants se retrouvent notamment dans des dialogues intelligents : les discussions entre le prêtre et Jimmy sont à ce titre très intéressantes, bourrées de mots d’esprit, et valent la peine d’être suivies en version originale, non pas pour avoir l’air intelligent en société, mais parce que la sincère rudesse de l’accent irlandais s’y retrouve sans cesse opposé à l’anglais plus noble et politiquement correct du prêtre. Autant d'éléments intelligents et subtils qui ne feront pas oublier la réalisation par trop classique de Jimmy's Hall, qui de la réalisation au jeu d'acteur, ne semble pas pouvoir dépasser un plafond de verre ; où quand la furia irlandaise ne parvient pas à franchir ses rivages exotiques et ravagés.