Je vous propose ce morceau pour accompagner la critique : https://youtu.be/rIMsKuIfi7A
De tous les animes que j'ai vu, à chaque fois qu'une personne plus âgé que moi me dit que tout ce qui est de près ou de loin en rapport avec des dessins animés est pour les enfants, ma réponse est toujours : Avez-vous Jin-Roh : la Brigade des Loups ?
La réponse est évidemment négative, mais permet de faire découvrir à une personne assez sceptique que dans l'animation, il n'y a pas que Dragon Ball, Scooby-Doo, Code Lyoko ou ce genre de dessin animé très populaire destiné majoritairement à des enfants ou des adolescents.
Et je vous vois venir, pourquoi ne pas conseiller des animes comme Cowboy Bebop ?
C'est simple, car il s'agit d'un film, une personne déjà sceptique sur le fait que les dessins animés ne sont que pour les enfants ne va pas être motivée pour commencer une série de 26 épisodes, par contre tout le monde peut voir un film d'une heure et demie.
Après, on peut également conseiller Perfect Blue, Akira, Ghost in the Shell, Millennium Actress, Ninja Scroll ou encore Les Ailes d'Honnéamise selon les préférences de la personne en question.
Bref, cette critique comme vous l'avez compris parlera de Jin-Roh : la Brigade des loups du studio I. G réalisé par Hiroyuki Okiura (Lettre de Momo) et scénarisé par Mamoru Oshii sorti en 1999.
Le film s'impose dans la nouvelle vague du cinéma d'animation japonais qui a été amené grâce au succès retentissant d'Akira sorti en 1988 qui permettra à des jeunes réalisateurs de pouvoir se lancer dans des projets ambitieux alors qu'auparavant à moins d'être un grand nom de l'industrie tel que Miyazaki, il était quasiment impossible de prendre le risque.
Le film se déroule à Tokyo, dans un japon uchronique des années 50, où l'Allemagne nazi aurait remporté la Seconde Guerre mondiale amenant un gouvernement totalitariste en pleine industrialisation qui force le peuple à habiter dans les villes. Cet exode rural fait émerger la question sociale qui a créé "la secte", un groupe terroriste travaillant dans les souterrains pour faire passer du napalm ou d'autres armes incendiaires.
Le gouvernement pour contrer ce groupe a créé la Posem qui a à leur charge l'unité Panzer, une unité spéciale de tueurs sans vergogne avec des armures renforcées, des casques de l'armée allemande qui cette fois-ci recouvre tout leur visage pour ne laisser que la couleur rouge de leurs lunettes afin de les déshumaniser, l'unité est principalement armée d'MG42.
Nous suivrons l'un de leurs membres, Kazuki Fusé qui se retrouvera très vite dans le film face à un petit chaperon rouge, l'une des transporteuses de munitions ou de bombes de "la secte", mais là où il aurait dû tirer, il n'a rien fait et la fille s'est fait sauter …
Grâce à sa combinaison, Fusé survivra, mais a remis en question le credo de l'unité : tuer à tout prix, sans avoir à douter, à hésiter ... et même à penser.
Ce traumatisme laisse Fusé avec des PSTD qui affecteront sa personnalité avec cette question trottant dans sa tête : pourquoi ne l'ai-je pas tué ?
De ce fait, il ira visiter le casier qui lui sert de tombe (surement car la ville est tellement bondée de bâtiments qu'il n'y a même plus de place pour les cimetières) et croisera sa soeur, Kei avec qui il aura une relation qui l'on pourrait le supposer s'approchera d'une relation amoureuse ...
Dans la narration de Jin-Roh une chose se fait vite ressentir ; le fait que Fusé est quelqu'un de mutique et stoïque, alors la plupart du développement propre au personnage se fera de manière subtile via des discussions d'autres personnages, aux passages plus métaphoriques et grâce au langage du corps pointant du doigt le travail du studio I.G qui impressionne encore une fois sur la qualité de l'animation, la création d'ambiance et les méthodes qu'ils utilisent pour apporter du réalisme à l'intrigue.
Mamoru Oshii arrive à garder son public malgré le côté nébuleux de ses personnages grâce à sa narration truffée de métaphores, de passages plus oniriques, le contexte social se rapprochant pour nous de mai 68 et au fait que le film a comme fil rouge une inversion du conte du Petit Chaperon Rouge tout en l'embrassant.
Je m'explique, dans le film, Fusé est clairement montré aux côtés des loups tandis que Nanami et Kei sont des chaperons rouges en plus d'être petites, mais là où le loup est désigné comme malfaisant et le petit chaperon rouge comme l'image de l'innocence étant très manichéen dans la version des Frères Grimm (se basant sur la version de Charles Perrault, conte destiné aux femmes pour qu'elles soient plus sur leurs gardes face aux beaux parleurs), Jin-Roh se sert de cela pour donner sa version du conte, une version plus mature où les chaperons rouges pour se rebeller contre un pouvoir qui les tortionne décident de commettre des actes de violence alors que les loups protègent la ville et le gouvernement en les tuant …
Sauf que dans la situation où Fusé et Kei se trouvent n'est pas fortuite, Kei est un objet destiné à faire tomber l'ensemble de l'unité Panzer en se servant de Fusé comme prétexte alors que la brigade des loups refait surface ayant prévu le coup des hauts dirigeants de l'unité.
Nous pouvons aussi remarquer que Jin Roh fait parfois le choix de faire passer Fusé au début du film comme quelqu'un de plutôt bien alors que Kei est liée d'une façon ou d'une autre avec l'une des factions et presque présentée comme sa "sœur" pour faire en sorte que la personne blâmée peut changer, comme lors du passage avec les loups ou lors de l'entrainement avec l'unité Panzer faisant passer Fusé comme le loup puis lors du piège qu'avaient tendu les hauts dirigeants de la Posem qui fait passer Kei comme le loup ; et lors de la scène de fin Fusé accepte d'être un loup en tuant le petit chaperon rouge afin de laver Kei de ses actes les plus répréhensibles !
Ce film illustre bien l'expression « le terroriste de l'un, c'est le résistant de l'autre »
Tout cela car le petit chaperon rouge doit toujours être la victime et le loup l'agresseur ... Fusé et Kei à l'instar de Tetsuo dans Akira sont aussi bien des agresseurs que des victimes, ils ne sont que des personnes !
Mamoru Oshii développe tout comme dans Angel's Egg, une société japonaise pessimiste en la personnifiant : il s'agit de la Mère. Cette mère qui dans le conte du film emprisonne son enfant dans une armure, et lui ordonne de ne pas venir la voir tant que cette armure ne sera pas usée ... Telle est la société japonaise. Kei et Fusé sont les enfants de cette mère qui fait en sorte de les culpabiliser de vouloir être libre et indépendant.
Concernant l'animation, Okiura a fait le choix de ne pas utiliser de techniques 3D préférant tout faire à la main, pari qui se révèle être payant en voyant la façon dont vieillissent les films en 3D de l'époque …
Les scènes de combat sont impressionnantes bien qu'il y ait un grand déséquilibre entre les différentes factions en action ... cela donne donc une grande impression de puissance pour l'unité Panzer.
On peut également voir dans ces scènes d'action les douilles voler à une grande vitesse de la mitrailleuse, par contre si je devais citer la scène en matière d'animation qui m'a le plus marquée, il s'agit de l'entrainement de l'unité Panzer où Fusé traverse une barricade de bois et à ce moment-là, on peut voir les morceaux de bois voler dans l'air.
Film d'animation oblige, le tout est storyboardé, le réalisateur opte pour un découpage avec des plans mettant en avant la ville ainsi que l'impression d'emprisonnement qu'ont les personnages dans cette société autoritaire avec toujours ce rapport avec le conte du petit chaperon rouge. Les moments où les hommes sont montrés avec des contre-plongées sont lors des scènes d'action de l'unité Panzer et lorsque le conte du petit chaperon rouge progresse pour montrer la faiblesse du chaperon face au loup qui dominera son environnement, le reste du temps les personnages sont à la même échelle.
Une scène m'avait beaucoup marqué par l'utilisation du montage, la scène métaphorique où Fusé voit Kei se faire mordre par les loups car la caméra fait des va-et-vient de plans serrés sur Fusé et Kei entrecoupés par des passages où Kei apparaît dans les souterrains à la place de sa soeur pour nous montrer pour la première fois ensuite Fusé comme un loup et pas comme "le mec bien" qui n'arrive pas à se résoudre à tirer (scène qui avait été préparé lors de l'entrainement où Fusé voit Nanami puis Kei avec des versés du Petit chaperon rouge).
Après il y a aussi la scène où Fusé et Henmi sont dans le musée devant des animaux empaillés pour amplifier le fait que le personnage est mort intérieurement.
La BO s'accorde magnifiquement bien avec le film, car c'est elle qui véhicule les émotions des personnages là où ils ne sont pas très expressifs (en particulier Fusé), donc un grand bravo à Hajime Mizoguchi, Yoko Kanno et leur groupe (dont Tsuneo Imahori qui a fait la BO de Trigun et qui a participé à celle de Cowboy Bebop, Gurren Lagann, Wolf's Rain etc.) !
Après s'il voudrait que je vous conseille un morceau, ce serait Grace Omega qui est absolument magnifique !
Pour conclure, Jin-Roh : la Brigade des Loups est un film sur la responsabilité de nos actes, la moralité ou encore la société, qui pourrait se montrer rébarbatif pour un public plus jeune, mais qui sera pour peu qu'on accroche à l'histoire, un incontournable du cinéma d'animation !