“Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme” c’est exactement ainsi qu’on pourrait résumer la postérité du projet fou dont le documentaire relate la genèse.
Le Dune de Jodorowsky est mort-né, ça ne l’a pas empêché d’impacter les gens qui ont bossé dessus, et malgré l’échec, la déception et la frustration d’avoir travaillé sans aller au bout du projet, malgré les dégâts psychologiques et financiers auxquels ils ont du faire face, ils ont su transformer l’essai sur d’autres terrains.
Et si ce n’est eux, l’élan généré par le projet a pu en inspirer d’autres plus ou moins directement.
Un documentaire qui vaut le détour à plus d’un titre, même si sa réception dépendra énormément de certains prérequis.
Pour quelqu’un qui ne connaitrait absolument rien à la science fiction, Dune ne serait rien de plus qu’un nom commun.
Pour qui aurait quelque notions dans le domaine, Dune serait une sorte de référence absolue qu’on ne lit pas forcément mais dont on connait l’existence, un peu comme un livre sacré, une bible que seuls les experts auraient lue.
Pour tous ceux qui vivent la science fiction un peu moins superficiellement, lire Dune, voir Dune, comprendre Dune serait un passage obligé.
Je fais partie de la deuxième catégorie, celle qui connait l’existence de Dune, qui sans s’en rendre compte a déjà goûté à beaucoup d’œuvres qui en sont les descendantes plus ou moins directes, et j’ai même tenté de m’approcher de la connaissance absolue, de lire “l’œuvre”, mais me suis arrêtée en cours de route, parce que les premières pages ne m’ont pas vraiment transportée.
Je découvre aujourd’hui grâce au documentaire que cette connaissance latente de l’univers de Dune tient principalement à mon amourette avec la bande dessinée (et la bibliothèque).
Au fil de mes découvertes, je suis évidemment tombée sur la saga des méta barons, space opéra de papier aussi déjanté que froid et méthodique.
De là le basculement classique vers les autres œuvres de Jodorowsky: l’incal, alef Thau, les technopères, et plus récemment Bouncer, où j’ai ressenti une lassitude devant cette manie de torturer tous ses personnages et d’utiliser toujours les mêmes ficelles narratives.
Autant dire que le simple nom de Jodorowsky me plonge dans des souvenirs de voyages fantastiques, mystiques, pas toujours faciles d’accès mais diablement fascinants même si globalement dérangeants.
Exactement tout ce que ce documentaire laisse entrevoir du projet Dune.
Je n’ai découvert que très récemment, et principalement par les vidéos du fossoyeur de films, l’existence d’une tentative de film “Dune” par l’ami Jodo.
Et par extension j’ai appris qu’il avait réalisé d’autres films, mais je ne m’étais pas penchée dessus..
Autant dire que la sortie d’un documentaire sur un film avorté tiré d’un livre que je n’ai pas réussi à lire par un auteur prolifique de BD dont le style commence à m’agacer me laissait un peu me laissait dubitative.
Heureusement, senscritique a résolu mon dilemme de “voir ou ne pas voir” en proposant le film en cinexpérience (et en m’y invitant - merci bien!).
Et pour une expérience, c’en était une!
Curieuse sensation d’excitation en voyant le nom de Jodorowsky apparaitre à l’écran, en sentant une grande partie de la salle à l’unisson, mélange de crainte de voir un documentaire pénible parler d’un film dont je ne sais rien, et curiosité aussi de découvrir la réaction des personnes peu versées dans ce genre d’univers.
Et puis le documentaire commence par une mise en situation sur ce qu’était Jodorowsky avant Dune: on découvre que les films d’avant étaient déjà de petits phénomènes à eux tous seuls (et hop ils s’ajoutent à ma liste des “à voir un jour”).
On voyage à travers des témoignages, et au centre de tous, très vite,Jodo fait son show.
Réellement, complètement, et à part ses premières interventions où on craint d’avoir face à nous une sorte de “vieillard qui vivrait de souvenirs et de regrets éternels sur ce qu’il était prêt à livrer au monde”, on a l’agréable surprise d’assister à un vrai one man show mégalo mais plaisant.
Jodo jubile en nous expliquant comment il a imaginé son film, comment il a composé sa dream team, et plus on avance avec lui dans l’élaboration du projet, plus on y croit, on imagine presque que le film est là, devant nous.
Ce qui semblait dingue au départ devient presque palpable, et on ne s’étonne plus des nouveaux faits invraisemblables contés par notre Maestro de l’embrouille.
Le documentaire arrive à nous plonger dans l’univers imaginé à l’époque par de nombreuses mises en mouvements des excellents dessins de Moebius.
Et on en vient à regretter qu’ils n’aient pas simplement sorti un album BD de Dune, avec la bande originale à écouter pendant la lecture.
Mais Alejandro-le-grand continue son récit: on passe au choix des acteurs, et là on entre dans la démesure +++.
Il nous explique mi sérieux mi taquin comment il a rencontré et convaincu le gratin du monde des arts de travailler avec lui: Dali, Mick Jagger, Orson Wells!
Ce mec est totalement dingue, mais le pire c’est qu’il nous donne envie d’y croire.
De la folie qui peut être tout à la fois créatrice ou destructrice.
Le projet Dune, c’est l’histoire d’une ambition folle, d’un travail de titan dont l’échec était sans doute assuré, qui a certainement laissé quelques dégâts sur son chemin, de ces grands ratages dont peut sortir le pire comme le meilleur.
Évidemment, le documentaire ne nous parle que de ceux qui ont réussit, même s’il évoque la dépression de l’un d’entre eux, le gars s’est repris en main pour écrire le scénario d’Alien.
Soit tous les acteurs du projet Dune ont fait des choses formidables après, soit on a laissé de côté ceux qui ne s’en sont pas remis.
Forcément, on préfère nous montrer la partie lumineuse de la force, les descendants multiples du film, plus ou moins avérés, et parmi lesquels il faut sans doute prendre un peu de recul (comme on peut douter de la véracité de tout ce que Jodo avance: même dans sa façon de raconter la gestation, il reste ce gars un peu farfelu et capable de nous emballer le tout).
Finalement, on en vient presque à aimer le film tel qu’il est: un formidable projet sur lequel on peut continuer à fantasmer, et dont le travail préparatoire a permis à des personnes talentueuses de se rencontrer pour mieux collaborer sur d’autres œuvres par la suite.
Si Dune était sorti, son échec aurait probablement démoralisé Jodorowsky, mais rien ne dit qu’il aurait abandonné le cinéma, il ne se serait peut être jamais tourné vers la bande dessinée, et je n’aurais peut être jamais entendu parler de lui autrement que comme un rélisateur maudit.
La sortie du film aurait pu passer inaperçue, et seuls quelques aficionados iraient à des séances spéciales tous les 5 ans pour commémorer le film, tout comme ça aurait pu être une réussite ouvrant une nouvelle ère au cinéma. Impossible de savoir ce qui aurait pu être, mais c’est un plaisir de découvrir ce qui a été imaginé, et ce que ça a pu faire naître par la suite.
En tout cas ce documentaire sur l’irréalisé montre qu’il faut parfois beaucoup de folie, d’ambition et d’inconscience pour enfanter un projet artistique, et ça on a tendance à l’oublier assez vite quand on se retrouve face à l’évidence de ce qui a fonctionné.
Ce sont ces échecs monumentaux, ces réalisations ratées qui permettent de mesurer la difficulté de créer, et d’aller au bout de son œuvre.
La fin de la cinexpérience (j’ignore toujours si c’est féminin ou masculin) était animée par un duo de youtubeurs dont je connaissais la moitié: le fossoyeur de films et le capitaine du nexus6 (ou un truc du genre).
J’aime beaucoup le travail du fossoyeur, mais j’ai eu l’impression d’assister à une vidéo de l’après-séance en live, notre présence face à eux n’apportant que peu de choses au débat (bon ok à un moment on a levé les mains pour dire si on connaissait Dune, ou Jodorowsky, ça a permis de constater un peu de diversité dans le public et de se souvenir qu’en cinexpérience on ne connait pas plus le film que la personne assise à deux sièges de nous - enfin pour la plupart des gens anonymes qui ne se connaissent pas bien sûr.
Donc une fois passée la bonne surprise de découvrir en chair et en os le fossoyeur, d’entendre son avis sur le film, le reste à tourné à la conversation entre les deux intervenants à base de “je te balance mes références” et on se marre bien.
Ca avait l’air vraiment sympa ces échanges, mais j’ai ressenti presque plus de distance que quand je regarde les vidéos à la maison, ça c’est sans doute parce que j’étais loin et que les intervenants étaient en grand partie cachés par le projecteur et la caméra.
Autant dire que pour les personnes qui étaient totalement étrangères à la science fiction et aux vidéastes présents, le débat était le summum du barbant, venant prolonger la soirée après une projection intéressante mais pas transcendante pour qui n’aurait aucune référence en la matière.
Cette ignorance totale des thèmes abordés devait concerner assez peu de personne mais je compatis à leur “supplice”, parce qu’elles n’ont pu bénéficier de l’énorme bonus positif et jouissif qu’a sur moi le combo Jodorowsky + références BD + fossoyeur de films.
Une bien belle cinexpérience, dans tous les sens du terme:
découverte totale d’un univers pour des personnes qui n’avaient aucune des références nécessaires avant de commencer la séance.
éclairage bienvenu pour les personnes ayant déjà des bases, qui se découvrent des élans de fans devant une idole dont on viendrait de leur révéler l’importance
quasi miracle pour les vrais fans de Dune ou du projet de Jodorowsky et qui ont l’impression de toucher le graal des yeux en feuilletant l’imposant et introuvable story board du film fantôme..
Une vraie découverte, et un bon documentaire pendant lequel on s’ennuie peu, grâce surtout à la truculence de Jodorowsky aussi flippant qu’attachant dans ses excès. Et une bonne expérience, merci à senscritique sans qui je n’aurais sans doute jamais eu la curiosité de voir le documentaire et sans qui je n’aurais jamais pensé me déplacer pour voir “en vrai” le fossoyeur de films”:
[Et c’est à ce moment de ma “critique” que je me rends compte qu’elle est bien longue pour pas grand chose- note pour moi-même: penser à faire un blog pour raconter sa vie au lieu de polluer sens critique de mes états d’âme]