.Le monde du cinéma est un bien curieux milieu, sans taper dans les "trucs" (à défaut d'un meilleur terme) que je regarde à mes heures perdus il suffit de voir certains films avant gardisto-expérimentaux-chelous pour comprendre que toute une branche de l'audiovisuel a un côté maboul tout à fait fascinant. Parmi les grands papes du milieu on trouve Alejandro Jodorowsky, un homme qui réalise des films avec des cow-bow en slip, des fusillades sans queue ni tête et des putains de chameaux partout !
Si ses films sont un brin barrés c'est que le bonhomme l'est tout autant, chaman à ses heures perdues le brave Jodo (surnom affectueux) entend bien changer ses spectateurs de pars ses longs métrages en ouvrant leurs esprits tel une drogue donnant accès à moult nouvelles sensations.
Jodo a de l'ambition, son rêve suprême est de créer un film prophète, une œuvre si énorme qu'elle changerait à jamais le monde du cinéma.
Et c'est pourquoi un jour le sieur à qui son prod Michel Seydoux laisse les pleins pouvoirs décide d'adapter Dune de Frank Herbert, le bouquin le plus surestimé de l'histoire de la sf par l'auteur lui aussi le plus surestimé de la sf. (Mais comme ça n'engage que moi je vais garder ces propos à l'état larvaire. Et de toute façon Jodo n'a pas lue le bouquin donc fuck Herbert) Le bougre va passer plusieurs années de sa vie à tenter par tout les moyens de concrétiser ce véritable rêve, réunissant autour de lui une équipe artistique assez hallucinante (on aura largement le temps d'y revenir) et poussant la pré-production aux portes du tournage avant de se prendre la tuile habituelle et prévisible de tout les projets fous, le pognon.
Cette histoire somme toute pas si rare dans le milieu du cinéma (on reparle de Terry Gilliam, Guillermo del Toro et autres James Cameron dont la filmo contient plus de projets avortés que de longs métrages bouclés ?) a finalement été reprise par des milliers de fans, élevant le film au rang de chef-d'œuvre jamais réalisé et de fantasme ultime du fan de sf. Dune n'ayant jamais été réadapté au cinéma depuis la tentative pas bien glorieuse de David Lynch, c'est peu dire que le projet fait toujours autant rêver, à tel point qu'un certain Frank Pavich décida de couvrir la gestation et le crash au décollage de la chose filmique non identifié d'Alejandro.
Et le résultat arrive donc enfin sur les écrans français, (quelque chose comme trois ans après la sortie américaine quand-même... Oui ça fait beaucoup de temps) il s'agit de Jodorowsky's Dune que l'on pourrait hardiment traduire en Dune de Jodorowsky (et ouai, bac plus 2 les enfants) un documentaire sur un projet jamais tourné un peu à la manière de Lost in la Mancha tout en étant cependant bien différent dans la forme comme dans le fond.
Le film se présente en deux parties mélangées entre elles et donc absolument pas distinctes, la première fait intervenir des figures extérieures au projet qui partagent leur point de vue sur le métrage quand la seconde, plus classique propose une reconstruction du déroulé du projet avec son lot d'anecdotes bien barrées et improbables.
C'est d'ailleurs cette seconde partie qui fait tout l'intérêt du docu, la première se résumant à un énorme léchage de pompe collectif impliquant des invités plus ou moins prestigieux, la seule intervention véritablement intéressante étant dû à ce bon vieux Nicholas Winding Refn, décidément toujours dans les bons coups qui nous parle du jour où l'ami Jodo lui a lut en total exclu le scénario de Dune en soulignant bien le fait que nous pauvres mortels ne pourrons jamais consulter la relique en question et surtout à quel point l'expérience était absolument formidable.
Tout ce qui touche à la reconstitution du projet et à son véritable crash en plein décollage est en revanche génial. La grande majorité des têtes pensantes, du moins ceux encore en vie au moment du tournage du docu interviennent et font part de leur implication et des moult délires vaguement mégalos de Jodorowsky. Parmi les intervenants citons pêle-mêle Jodorowsky lui-même, son fils Brontis qui devait incarner Paul le héros, Michel Seydoux son fidèle producteur, le fantôme de Dan O'bannon et un HG Gigger plus flippant que jamais dont le seul accent Suisse Allemand terroriserait n'importe quel homme saint d'esprit et filerait des complexes aux autres. Un casting cinq étoiles qui nous abreuve de commentaires sur chaque étape de la pré production du film. Tout nous est détaillé, que ce soit le recrutement des acteurs (Parmi lesquels excusez du peu Mick Jaegger, Orson Wells et Dali !) ou les recherches artistiques avec les sublimes story-boards de Moebius proprement à tomber par terre, tout comme le character design et les peintures de décors par Gigger. Tout dans ce projet puait méchamment la classe et proposait des rendus visuels ultra rococos qu'on ne reverra malheureusement que dans d'obscurs chefs-d'œuvre incomparables tels que Flash Gordon.
Mais ce qui fait la plus grande force du film c'est incontestablement Jodorowsky lui même et ses interventions ultra savoureuses, le bonhomme évoque inévitablement de la sympathie, que l'on soit réceptif ou non à son univers et à son travail. Que ce soit sa manière de s'exprimer à grands renforts de gestes larges et d'onomatopées ou simplement sa ferveur quasi religieuse pour son projet, le réal devient presque un personnage, un personnage ultra attachant que l'ont veut voir réussir. Et c'est d'ailleurs l'une des autres belles choses de ce documentaire, car au delà des anecdotes hilarantes sur le régime alimentaire d'Orson Welles ou sur comment Jodo a réprimandé les membres de Pink Floyd recrutés pour composer une partie de la bo, le film présente un vrai message. Et c'est d'ailleurs en cela qu'il diffère grandement de Lost in la Mancha, car là où le documentaire sur l'échec de Gilliam provoquait immanquablement la tristesse du spéctateur Jodorowsky's Dune déborde de positivisme. Son projet se heurte au refus des autres ? Peut lui importe, Alejandro peut être fier du colossal l'héritage qu'il a laissé derrière lui. Des cendres de son rêve sont nés (ou du moins ont puisés) de grands films parmi lesquels Alien, Star Wars ou encore Flash Gordon. (un héritier de qualité vous en conviendrez) Le réalisateur lui-même le dit, son film n'est pas un échec, le simple fait d'avoir mené aussi loin un tel projet est une forme de réussite et de voir qu'il continue à vivre dans le cœur des fans, spectateurs comme collègues cinéastes fait montre de l'immortalité artistique de son rêve/chef-d'œuvre inachevé.
Avec le temps j'ai souvent eu l'impression de devenir de plus en plus insensible et il est de ce fait devenu très rare qu'un film me touche. Pourtant Jodorowsky's Dune l'a fait, à tel point que je suis ressorti de la salle de cinéma avec un sentiment de bien-être que peu de films sont capables de me procurer. Il va sans dire que ce film sera probablement l'un des meilleurs de l'année à mes yeux et surtout qu'ils sera l'un des films sortis récemment que je prendrais le plus de plaisir à revoir, déjà parce que c'est une œuvre d'une force évocatrice assez hallucinante que n'aurais peut-être jamais atteint le film de Jodorowsky,
Mais plus simplement parce que c'est un film qui est parvenue à faire quelque chose de bien trop rare, il m'a fait rêver et ce malgré le fait que le projet ne m'attirait pas tant que ça et que j'avais déjà eu connaissance de toute cette histoire. Plus qu'un documentaire sur la chute d'un projet pharaonique, Jodorowsky's Dune c'est surtout un film qui appelle à la création et au rêve et qui l