J’ai toujours gardé une grande tendresse pour Nicolas Cage, enfin, le mien, celui des années quatre-vingt, le jeune gosse un peu barré qui enquillait les films originaux sans être sûr de pouvoir faire carrière et qui continuait en même temps à servir dans les bars de New York pour assurer les fins de mois, celui qui malgré deux ou trois panouilles chez tonton poussait le refus du favoritisme jusqu’au changement de patronyme, celui qui donnait un coup de main à ses petits camarades désargentés en leur refilant son agent quitte à recevoir des années plus tard leur petit coup de pouce financier afin de payer des impôts qu’une vie dissolue rendaient gênants même en amassant des millions dans les films alimentaires…

Oui, j’avoue, Nicolas me touche, je l’ai aimé chantant Presley chez Lynch, moustachu chez les Coen, je crois que je l’ai même trouvé touchant chez Alan Parker, c’est dire... et puis franchement, comme loser pour John Dahl on a rarement poussé aussi loin le vice, une jolie carrière en quelque sorte, mélange de rôles à oscars un peu gonflants et de chouettes personnages de petits polars indés et puis d’un coup, l’aboutissement logique, le rôle marquant, savant mélange des deux, l’alcoolique magnifique à Las Vegas, l’oscar, forcément, mérité en plus, un comble, il ne pouvait pas y survivre…

A force de chercher maladivement de nouveaux challenges, le bougre se dit que tout est trop simple, jouer la comédie, c’est trop facile, il faut des handicaps, il a envie d’essayer de composer dans des conditions plus compliquées, par exemple bodybuildé, en marcel, les cheveux longs et en courant au ralenti pour échapper à une explosion apocalyptique due à la rencontre d’une grosse cylindrée et d’un avion de ligne… Et là, étrangement, sa carrière bifurque, il a beau essayer de taper dans les pseudos auteurs au début, l’ambulancier chez Scorsese, le flic infiltré chez Woo, l’escroc maniaque chez Scott, le James Cagney survolté chez De Palma, il ne trompe personne, au mieux il repousse l’échéance, il est devenu autre chose…

Ma théorie personnelle c’est que ce sont ses amours difficiles avec Patricia Arquette qui lui ont fait perdre la boule, le lançant dans les blockbusters les plus Z de plus en plus invraisemblables, le cacheton qui tombe à la fin du mois, un héros d’action de plus, le comique involontaire en prime et le traumatisme capillaire en leitmotiv…

Après, même dans sa folie le type est amusant, il s’achète des châteaux en Europe comme vous une baguette chez la boulangère du coin, il a visiblement perdu pied, il est fichu, rien à sauver, j’en ai peur…

Et un jour, brusquement, on essaie de me vendre un film de lui avec un rôle normal, enfin, je veux dire présentable, un retour aux sources peut-être, je passe sur une bande-annonce miteuse pour me dire que je vais essayer, pis j’aime bien les bouseux dégénérés, ça tombe au poil…

Le problème, c’est que le cinéma indépendant américain des années deux mille dix n’est pas celui des années quatre-vingt, il se noie tout seul dans ses conventions ridicules tant sur le fond que sur la forme… Déjà, c’est pénible de se dire qu’il n’est plus possible d’avoir des cadrages au cinéma, que c’est filmé avec les pieds par un chien ivre et que les gros plans deviennent aussi systématiques que l’absence de subtilité mais quand le fond suit la forme, Mon Dieu… comment dire…

Très vite, devant l’accumulation de scènes-chocs gratuites et bêtes, j’abandonne, j’en ai plus rien à branler de ce que je vois, des personnages encore moins humains que les clebs bovins à là gueule rougie qui remplissent l’écran… Je ne sais pas ce qu’il y a de pire entre le père alcoolique qui tue un clodo pour une bouteille de rosé fluo, frappe son fils quotidiennement et prostitue sa fille muette pour deux dollars et le grand méchant loup balafré qui n’a absolument rien à foutre dans le film, de toutes façons il y a un gosse hideux dedans, une sorte de demeuré mental qui est supposé m’intéresser, allez savoir pourquoi, moi je voulais juste que Nicolas continue à massacrer sa forêt tranquillement, à apprendre au petit merdeux sa meilleure grimace de winner et qu’il évite d’essayer de se lancer dans un remake-parodie involontaire de Gran Torino…

Il n’y a pas le moindre petit soupçon d’histoire, de personnage, d’enjeu, juste l’habituelle et laborieuse escalade dans le glauque qui ne saurait toucher les esprits un peu exigeants qui demandent autre chose à un film, je ne sais pas moi, une crédibilité, un intérêt, un zeste de finesse peut-être…
Torpenn
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le 14 mai 2014

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Torpenn

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