« Joe Hill » est bien des choses. C’est un road-movie atypique, ouvrant les désirs de liberté, nous transportant de New-York à l’Utah à dos de train. C’est aussi un biopic d’une figure méconnue et pourtant tutélaire de la contre-culture américaine : Joseph Hillstrom, lequel finira, non sans hasard, syndicaliste, à force de chanter aux quatre coins du pays ses chansons, que l’on associera aujourd’hui à Bob Dylan, Bruce Springsteen, ou encore Tom Morello (Rage Against the Machine). C’est aussi le seul film de Bo Widerberg tourné aux Etats-Unis (hors des circuits d’Hollywood), ainsi qu’une véritable bombe politique, en pleine Guerre Froide, non sans évoquer les ressorts des Nouvelles-Vagues européennes. Paradoxalement, ce film est si rare, pour ne pas dire confidentiel, que son public cible est bien le dernier à pouvoir le considérer. Car « Joe Hill », au-delà de toutes les considérations énumérées ci-dessus, est avant tout un film social, et cela transparait d’emblée dans ce New-York de la fin du 19ème siècle. Bo Widerberg nous montre, non sans se targuer d’un cachet démonstratif, les coulisses de cette ville en pleine expansion, focalisant son attention sur les voleurs, les balayeurs, les ouvriers, ceux qui écoutent l’opéra en collant leurs oreilles à la porte de l’entrée des artistes. C’est aussi un film pathétique. La plupart des actions, où des rebondissements de l’intrigue, sont captés dans des actions brèves, souvent relatées avec l’aide d’un seul et unique plan. Certes, cela n’est pas sans démanteler quelque peu le récit, devenant rapidement flou, voire ambigu durant toute la dernière demi-heure. Mais cela renforce la subtilité, parfois quasiment incongrue, de la réalisation de Widerberg. Par exemple, le long du film, Joe Hill parcoure les Etats-Unis en se faufilant sur les toits des trains, geste courant parmi les vagabonds de cette époque. Au fur-à-mesure que le film avance, les toits des trains sont de plus en plus surveillés et notre héros est souvent contraints d’en descendre, pour se cacher en s’accrochant sous le train. D’ailleurs, reconnaissons la formidable authenticité de la mise en scène, la modestie presque palpable de chaque mouvement de caméra, cette manière de décrire l’action le plus fidèlement possible sans pour autant verser dans la linéarité, constatant au passage l’hypocrisie et les injustices d’un système, sans pour autant le diaboliser totalement. Rien n’est ici tout tracer, au contraire, tout est nomade, voué à bifurquer, chaque étape se déroulant dans l’incertitude totale de la suivante. Même quand le destin de son héros se voit scellé, le film nous le montre, dans le couloir de la mort, à continuer d’écrire, d’aimer, parcourant l’Histoire au gré des vents. Certes, le Joe Hill dépeint ici est particulièrement sympathique, emphatique, chose dont on doute qu’il ait vraiment été. Néanmoins, cela ne peut nous dérouter de ce constat final : ce film est un chef-d’œuvre, un vrai, dont on suivra encore, à l’avenir, les pérégrinations.
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