Dans la mythologie du cinéma, il existe un type de personnage bien particulier - et que j'aime assez : le "Taciturne". Le taciturne est un assassin, mais pas n'importe lequel : c'est le meilleur. Il ne parle évidemment pas beaucoup, mais ça, c'est parce que dans sa tête, il s'est coupé de toute humanité afin d'améliorer encore son ratio de meurtres. Ce type est une machine, mais du genre efficace. Le genre à couper les ailes d'une mouche à l'aide d'un fusil de sniper, tirant depuis un tapis de course à 1 Km de là. Alors, évidemment, dit comme ça, ça n'a pas grand intérêt mais progressivement, le pauvre Taciturne va s'ouvrir à la beauté et apprendre à devenir un être humain, souvent au contact d'une jolie pépé qui l'aura au préalable séduit. Bon, ensuite, vengeance, meurtres et efficacité. John Wick, c'est un peu tout ça : un mec qui cause peu et qui a une inquiétante habilité à terminer l'existence d'armée d'hommes de main et une quête de vengeance. Et ça donne aussi le retour de Keanu Reeves dans le genre "action", genre qui l'avait quand même consacré avec "Point Break" (raaah), "Speed" (so cool) et Johnny Mnemonic". Ou "Matrix", selon les goûts de chacun.
Et pourtant, pour John Wick, tout commence bien. Normalement, dans un bon vieux film de "Taciturne", la Mafia qui l'embauche a la mauvaise idée de vouloir le buter au moment où ce dernier se trouve une nana. Ben John, lui, il a dit qu'il prenait sa retraite pour se marier et étrangement, pour une fois, la Mafia Russe n'a pas cherché à le buter. Non, on lui a remis un chèque, on l'a remercié pour les services rendus et on l'a laissé filer. Et il a pu se marier pénard, dans son coin, et avoir une relation amoureuse épanouie, enfin, la fin du film, normalement. Seulement voilà, madame est malade, de façon incurable et meurt finalement. Comble du destin fatidique, cette dernière fait un cadeau arrivé post-mortem (la poste, j'vous jure) : un chien, histoire que John ne soit pas trop déprimé et ne retombe pas dans ses vieux démons. Alors, ça aurait pu marcher, seulement voilà, tandis qu'il fait un tour dans sa superbe Mustang (son deuxième amour), John attire l'attention d'une petite frappe russe, qui décide de lui piquer la voiture le soir même et de tuer son chien. Dès lors, notre bon Keanu n'aura de cesse que de liquéfier les rangs de la Mafia Russe pour leur rappeler que moins tu parles, plus tu gardes du temps pour buter des gens de façon industrielle.
Autant se le dire, il ne va pas y avoir masse de dialogues, dans Jonh Wick. Il ne va pas y avoir énormément de recherche non plus. On est là dans un but précis : voir Keanu Reeves tuer des gens, et énormément de gens. Et d'une façon très rapide, simple, comme une danse élégante et plutôt meurtrière. Dès que l'intrigue s'amorce, cela va être une entrée en vigueur dans un monde fun d'action totalement assumée. Et diable que le réalisateur de cette oeuvre sait y faire. Au menu, de la chorégraphie qui fait plaisir à voir et un montage musclé, qui permet d'avoir en permanence une action lisible et classe. Avec un peu de sang en CGI - mais pas trop - histoire d'avoir des impacts, ça ravie le fan de gunfight énergique que je suis. D'autant que Keanu pète la forme et se retrouve foutrement à l'aise dans ces séquences. Et qu'il t'attrape un type, lui colle un pruneau dans le bidou, explose d'une balle bien placée les copains avant de faire une roulade, emportant sa victime neutralisée qu'il te finit d'un headshot efficace et hop, on reprend la danse. Après, c'est sûr, John Wick n'a pas pour vocation de faire dans l'original, mais dans le bien. Du coup, on se retrouve avec des gunfights qui prennent place dans des lieux "habituels", type une boîte de nuit. Mais tant pis, le rythme est là, nerveux, ça claque de partout. Avec quand même des moments de pure classe, comme quand John braque le videur pour s'introduire dans la fameuse boîte de nuit, un dialogue tout en retenue (ha ha, je plaisante qu'à moitié, vous êtes prévenu) ou même lorsqu'un policier toque chez notre héros après que des gens aient entendu des coups de feu provenir de ladite maison. Un échange assez drôle, qui impose quand même son personnage de croque-mort invincible.
On remarque l'apparition de quelques gueules, type Willem Dafoe, qui vient traîner sa tronche inimitable et même Adrianna Palicki qui passe faire coucou avec un rôle pour le moins dispensable - mais qui a au moins pour lui de ne pas reposer uniquement sur la plastique de la jeune femme. On a aussi un Lance Reddick décidément cantonné aux seconds rôles, qui impose toujours son charisme étrange et même le héros du Millennium suédois en grand méchant totalement flippé par l'arrivée prochaine d'un John Wick revanchard. Ou même la trogne de junkie d'Alfie Allen, qui est désespérément un habitué des rôles de petites crevures. Au milieu de ces acteurs plutôt charismatiques, Keanu Reeves surfe à l'aise sur le mutisme de son héros, grâce à son jeu tout en retenu (que trop de gens qualifient de monolithique... il faut vraiment que ces personnes voient la fameuse scène de la colère dans Johnny Mnemonic !). Comme de nombreuses célébrités d'Hollywood - et malgré son passage à vide ces derniers temps - Keanu a évidemment cessé de vieillir il y a une quinzaine d'années, se contentant de boire du sang de vierge et de vivre dans un caisson réfrigéré, ce qui lui permet de garder ce faciès d'éternel trentenaire un peu mélancolique qu'on lui aime tant. Du coup, John Wick, c'est un peu le rôle en or, en fait, une sorte d'anti-Néo puisque fatalement, il est tout en skill, sans super pouvoirs : un simple homme qui prend méchamment cher pendant tout le film, à l'ancienne, donc.
"John Wick" fait partie de cette petite caste de films d'action franc du collier, qui vont droit au but et sortent de façon tout à fait irrégulière. Avec sa plastique sympathique, sa mise en scène tournée vers l'action et son montage qui te secoue, il rappelle surtout qu'on détient quand même depuis au moins vingt ans les ingrédients pour faire de bons films d'action et qu'en fait, c'est juste qu'on ne sait plus du tout se focaliser sur l'essentiel. Des balles, des gens qui se frittent à courte distance avec des flingues et des impacts qui piquent. "John Wick", c'est un plat simple, mais nourrissant, qui manque singulièrement au paysage suranné de l'actionner. Fallait bien l'immortel Keanu pour nous rappeler les bienfaits de la franche camaraderie.