"Joker" était un pari risqué. C’était aussi l’une de mes grosses attentes de cette année. S’éloignant du classicisme du genre comme peut faire Marvel avec son MCU et s’affranchissant de l’étiquette DcComics en ce qui concerne leur DCEU, le long-métrage de Todd Phillips se veut à part de tout ce qui sort actuellement. Le film s’affranchit également des blockbusters en tous genres, trop conventionnels et déjà vus des milliers de fois. Ainsi, c’est une œuvre totalement inédite, qui laisse même de côté le comics, pour créer son histoire personnel. Parmi le paysage cinématographique actuel, "Joker" est d’une audace assez folle et c’est un choc cinématographique comme j’en ai eu rarement dans ma vie. L’un des derniers grands films, et même, l’un des plus grands de la décennie 2010.
Tout d’abord, "Joker" est d’une écriture et d’une construction brillantissime. Ici, pas d’action à foison ou de blagues qui désamorcent toutes les scènes, mais une noirceur inédite, de la violence pour porter les quelques scènes qui bougent. C’est une œuvre beaucoup plus osée, qui ne veux pas ressembler aux autres films super-héroïques du genre. Le but est de faire l’origin story d’un antagoniste, alors ce méchant le sera jusqu’au bout. "Joker" peint le parcours d’un homme, Arthur Fleck, ayant une maladie mentale mais qui malgré cela, rêve de devenir comédien, alors qu'il est déjà un comédien raté. Ce portrait de personnage est peint dans une fresque lente, qui prend son temps pour tout amener. Ses soucis, son milieu social, son entourage mais surtout ce qui le torture et ce qui va avoir un rôle important dans la construction du tueur qu’il va devenir. Le film prend son temps pour développer le parcours psychologique du personnage et exploiter ses différentes facettes à l’écran pour l’amener jusqu’au bout de sa transformation.
C'est, en effet, tardivement que le vrai personnage du Joker va arriver. Mais cela est justifié par les événements qui se succèdent, qui brisent Arthur de l'intérieur et qui le transforment peu à peu en l'antagoniste que tout le monde connait. D'ailleurs, l'attente ne sera pas créée pour rien car elle amène aux 30 dernières minutes, des minutes qui marquent un véritable choc par son intensité, sa montée crescendo dans la violence et dans le grandiose. Puis, le film témoigne aussi de certaines dérives d'une société où les classes sociales ressortent de trop et où l'injustice n'est pas sans conséquence.
En choisissant de s'éloigner du classicisme du genre et de la banalité, en osant originalité pour en montrer plus que ce que l'on voit à l'accoutumé , le film va appuyer sur le côté sombre de l’œuvre. Ainsi, une atmosphère lourde, presque crasseuse à l'image d'un Gotham sale, inquiétant, bercé dans l'immoralité, le mépris et l'injustice, va se mettre en place pour également développer une ambiance inquiétante mais qui se veut prenante car très peu vue ailleurs. Amplifié par un travail sonore et une magnifique bande son centrée sur l'aspect ambiance, par Hildur Guðnadóttir, le film renforce le mal-être de l’œuvre, cette face lugubre mais à la fois jouissive pour créer des moments musicaux puissants et magistraux.
Là où le long-métrage pouvait faire peur, c'est au niveau du visuel. Todd Phillips est connu pour avoir réalisé la trilogie "Very Bad Trip" qui, déjà au niveau du sujet, est très loin de ce film "Joker", et qui en terme de réalisation, ne va pas plus loin que de simplement montrer ce qu'il y a à montrer. Or, la grande surprise est belle et bien présente ! La mise en scène du réalisateur est assez extraordinaire. Tout d'abord, elle colle très bien à l'image du film et de la crasseuse ville de Gotham. Puis, elle est dotée d'une virtuosité impressionnante car le cinéaste a complètement changé son style. Le réalisateur filme la descente du personnage d’Arthur Fleck vers le monde du crime, avec une maitrise bluffante, tant par sa brutalité et son brio. Amplifiée évidemment par une photographie des plus sublimes, laissant souvent les plans dans l'ombre pour signifier le basculement du protagoniste. De plus, le réalisateur maitrise ses cadres et les mouvements de ses caméras, ne laissant souvent rien au hasard mais plutôt à l'intelligence scénographique. Sans se regarder filmer, ou simplement se laisser filmer en y mettant aucune âme, Todd Phillips trouve le juste milieu entre la simplicité qui rencontre l'efficacité, et la maestria visuelle.
L'un des points majeurs du long-métrage est évidemment son interprète principal. Bien sûr, Robert De Niro en impose dans son rôle, Frances Conroy est bonne dans son personnage de mère folle ou Brett Cullen dans celui d'un Thomas Wayne, mais face à Joaquin Phoenix, rien ni personne ne le surpasse. L'acteur vit sous les traits d'Arthur Fleck et du Joker et ne se contente plus d'interprété mais il est le personnage ! Puissant, magistrale, spectaculaire, difficile de le décrire sans en faire une gradation, tant il est parfait dans le rôle. On y ressent toute l'application de l'acteur, déjà dans le physique, mais aussi dans la prestation et le rire inventé pour le rôle. A travers sa prestation, on y retrouve toute l'essence du personnage culte et, même si c'est un fou dangereux, on s'attache à l'homme dernière le maquillage. En lui coule toute la puissance et la folie à un point où la performance en devient indescriptible, tant elle est magistrale.
Que dire de plus sur Joker à part que, ce genre de choc cinématographique sont très rares et que je suis heureux de voir ce genre d’œuvre être produite et que l'on fasse à confiance à des vraies visions d'auteurs, pour la création d'œuvres à des années lumières de ce que l'on peut voir dans le genre depuis plusieurs années. Todd Phillips a réussi son pari fou d'adapter le personnage comme il le voulait, c'est à dire dans un film sombre et violent, doté d'une virtuosité incomparable. Il a trouvé l’interprète parfait pour le rôle et juste, wow, quel film, quel choc !
10/10