Proposant un drame intimiste, viscéral et dérangé, Todd Phillips fait fort avec son Joker à l'heure où Hollywood fait dans la pseudo-comédie débile qui n'a rien à raconter, ou dans le spectacle à deux ronds désincarné. Que ce soit venant de l'écurie DC ou Marvel, ces dernières années ont été avares de solidité en terme d'adaptation de comics. À part le sublime Spider-Man Into the Spider-Verse et Avengers Infinity War, aucun film ne peut prétendre être vraiment réussi dans ce domaine... Ils sont tout juste sympathiques (Thor Ragnarok, Guardians of the Galaxy, Aquaman...), au minimum passables (Wonder Woman, Captain Marvel, Spider-Man Homecoming...) voire carrément médiocres (Ant-Man and the Wasp, Suicide Squad, Avengers Endgame, Justice League...). Bref, rien de bien fou à se mettre dans l'oeil.


À l'exact opposé de ce ramassis d'ordures, Joker se place comme une lueur d'espoir dans le paysage. Fortement aidé par son interprète charismatique dont on ne vante plus le talent, le long-métrage sonne juste à chacune de ses séquences. Nous plongeant directement dans une Gotham City encore privée de son justicier masqué, en proie à la criminalité sans borne, le réalisateur sait comment mener son vaisseau à bon port et nous traînera lentement dans cette folle descente aux enfers. Le contexte dans lequel est empêtré la ville rappelle immédiatement la situation dans laquelle se trouvait New York à la fin des années 70 jusqu'à la moitié des années 90. Corrompue, tentaculaire, ravagée par le crime et la misère, c'est dans une telle ville que Arthur Fleck, un clown raté, va peu à peu sombrer dans la rancœur et la démence.


Le scénario est très bien ficelé et intelligent, narré avec brio et appuyé par des images fortes. Le tout est baigné d'une photographie magnifique signée Lawrence Sher, qui se révèle ici, déjà à l'oeuvre sur les Very Bad Trip du même Todd Phillips ou encore sur le récent et discutable Godzilla II, King of the Monsters. L'ambiance rendue à l'écran est sombre, poisseuse, rythmée par une musique lourde et oppressante, elle colle parfaitement avec l'univers de Batman. Les plans urbains sans horizon ne sont pas sans rappeler le style de Martin Scorsese, qui devait produire le film. Au lieu du cocktail pop-corn habituel avec de la CGI à toutes les sauces, Phillips opte plutôt pour un rendu proche de films comme Taxi Driver, Mean Streets ou plus récemment Se7en de David Fincher, ce qui procure au film une identité puissante, réaliste et crédible.


Pour en revenir au script, il est plaisant de voir des scénaristes proches de leur personnage et qui lui constituent un vrai background, de vrais enjeux. Joaquin Phoenix, au sommet de son art, lui donne vie impeccablement, se fondant littéralement dans la peau du clown futur prince du crime. De plus, le scénario est surprenant, ce qui se fait rare de nos jours. Sans cesse Phillips va s'amuser avec les codes du personnage, jouant même avec nos nerfs pour mieux rebondir (comment ça le Joker serait le frère de Bruce Wayne ?) et tisser toujours plus la psychologie complexe et torturée du comédien raté.


Plein de petits détails du genre font de Joker un produit exceptionnel. Que ce soit par ses clins d’œil à The King of Comedy (on s'offre même De Niro au casting), par ses nombreux personnages secondaires qui donnent du sens aux rouages de l'intrigue, ou encore la façon de nous présenter les protagonistes connus (le jeune Bruce Wayne encore peureux et faible, ou son père Thomas, loin d'être présenté comme l'altruisme incarné), le film est un ensemble homogène parant à tout ennui ou maladresse. À noter également que le film fait écho à notre époque, où la folie et l'irrévérence deviennent célèbres et monnaie courante.


Le final quant à lui n'arrête pas de fasciner et de surprendre, car on se rend compte que l'origin story va au delà de la simple figure du Joker. En effet, on y apprend l'une des nombreuses façons dont le gang du clown a pu être constitué, et force est de constater qu'ici Todd Phillips nous dévoile tout son génie : Arthur Fleck, coupé du monde social par sa démence, va devenir malgré lui un leader emblématique d'une révolution au sein même de Gotham. Et ça c'est très malin. Car le démon du mal qu'il n'est pas encore ne choisit pas son futur, c'est la société entière qui lui impose. Lui voulait juste faire rire et être célèbre. Mais son "coup d'état" contre le "roi "des comédiens ira au-delà, car les pauvres et les marginaux y verront un message révolutionnaire et anti-système. La conséquence est que son gang se formera de lui-même, où tous les frustrés, les fous latents, les petites frappes, les déchets sociaux ou les paumés de la ville y trouveront leur compte. Ces fanatiques iront même jusqu'à exécuter le meurtre très symbolique des parents Wayne, qui donnera naissance plus tard à un autre psychopathe, un type qui passera ses nuits déguisé en chiroptère à parcourir les rues et casser des gueules.


C'est donc inconscient et dans la folie générale qu'Arthur Fleck devient le légendaire Joker, perdant le même jour son humanité et sa vie rêvée. Un chef-d'oeuvre.

Paùl_El_Cellat
8
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le 23 janv. 2020

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