Cette critique comporte des spoilers
Objet mythologique flottant au milieu d'une culture remplie d'icônes héroïques et portant une dimension psychologique si forte que chaque renaissance est aussi attendue que redoutée : cela suffirait-il à définir ce qu'est le Joker ?
Incarner le Joker au cinéma, c'est accepter de se perdre. Le personnage en soi représente une volonté de non-être, une forme d'anarchie en constant mouvement qui se déforme et se reforme. Après une performance mitigée de Jared Leto - dans un film qui, admettons-le, n'a laissé aucune place à l'interprétation de l'acteur - l'annonce d'un nouveau Joker a fait monter une hype impressionnante.
On dit souvent : "c'est dur de passer après Nicholson et Ledger". Aucun autre personnage de fiction ne porte un tel fardeau d'interprétation.
Ici, le personnage d'Arthur Fleck est une réelle pâte à modeler. A travers la performance de Joaquin Phoenix, c'est Gotham City elle même qui investit chaque expression du comédien, chaque ride tirée, chaque sourire. Ce film est angoissant. Le malaise est constant tant la chute du personnage est vertigineuse. Avec sa chute, il emporte toute la ville : représentant d'une classe sociale méprisée et invisible, il devient l'étincelle qui enflamme la poudre révolutionnaire.
La première partie du film souffre de quelques longueurs et personnages annexes qui ternissent le rythme. Cette descente dans la folie est parfois entachée de quelques scène peu subtiles et assez clichés.
La deuxième partie quant à elle est une véritable explosion. La violence y est traitée avec une finesse rare : les quelques moments sanglants sont instantanés, inattendus et extrêmement violents. Le dialogue entre Phoenix et De Niro sur le plateau télévision est un vrai moment de cinéma. Le final grandiose peut laisser le spectateur sur sa faim : puis qu'il n'y a pas réellement de point final à cette histoire.
Il fallait oser mettre la famille Wayne comme antagoniste : la rencontre avec le jeune Bruce est puissante et semble presque laisser dans le cerveau du futur chevalier noir un traumatisme qui sera à jamais associé à la mort de ses parents. Dans cet univers, c'est un clown qui tire sur Thomas Wayne et arrache le collier de perles de Martha Wayne. Seul point négatif : à vouloir renverser la morale, celle-ci reste tout de même assez manichéenne : les riches sont pourris, et il y a peu de place pour la nuance.
Ce film est l'histoire d'une ville. Une ville qui dès le premier plan semble rongée et nécrosée. Joker est le produit de Gotham, un monstre créé par la tension dans les rues, le besoin d'anarchie. C'est un purgatoire sans règles qui se développe au sein de la ville.
On le sent à la fin du film : toute cette violence s'apprête à créer un deuxième monstre. Il sera vêtu d'une cape et d'un costume terrifiant. Certains diront que c'est un héros, mais où placer la morale ? C'est tout l'intérêt du personnage créé par Bob Kane et Bill Finger.
D'un point réalisation, le parti pris apparaît dans une dimension toujours très théâtrale de la mise en scène. Le travail sur les lumières, les couleurs ou les costumes est très bien fait. Le réalisateur montre qu'il arrive à maîtriser une réelle lenteur de la caméra, suivant à la lettre les pensées du personnage et laisse le temps au spectateur de s'imprégner de sa folie.
Todd Phillips livre avec Joker un film qui ne laisse pas indifférent. La morale finale est floue, en cohérence avec l'univers dont est issu le personnage. Malgré quelques défauts du film, il est certain que la performance de Joaquin Phoenix restera une véritable prouesse sublimée par la caméra de Todd Phillips. On peut le dire, la Warner a des cou***es pour produire un tel film.
Dans les cendres du Phoenix, le Joker vient de renaître.