Batman a nombre d'ennemis qui, arpentant les bas-fonds de Gotham City, ruminent de sombres pensées. Parmi eux, il y en a un qui domine l'imaginaire collectif de ce qu'est l'antithèse du Batman. Maquillage de clown, sourire de dément, costumes criards et cheveux peinturlurés, le Joker dégage un sentiment de dangerosité inquiétante et implacable. Le personnage, créé par Jerry Robinson, Bill Finger et Bob Kane, est présent dès le premier numéro de Batman sorti en 1940. Sur grand écran, deux interprétations avaient jusqu'à présent marqué les esprits des spectateurs : Jack Nicholson dans le Batman de Tim Burton et plus récemment Heath Ledger dans The Dark Knight : Le Chevalier noir de Christopher Nolan. Jared Leto ? À oublier.
Dans chacune de ses sorties cinématographiques, le Joker était cantonné au rôle du méchant, laissant à son ennemi juré, le Batman, la gloire du rôle principal. Justice lui a donc été rendu avec ce qui a été le carton de fin d'année, Joker, réalisé par Todd Phillips. Avec plus de 5,5 millions d'entrées dans l'hexagone, Joker est devenu le film DC ayant le plus performé au box-office français. Au-delà ce cette prise de pouvoir sur grand écran du super-vilain, le réalisateur bouscule fortement la légende de Bruce Wayne en réécrivant un évènement clef dans la construction et la naissance du Batman.
Joker retrace les origines du super-vilain, celles d'Arthur Fleck, un type un peu paumé travaillant dans une agence de clown et souhaitant faire carrière dans le stand-up. De sa longue descente aux enfers causée en partie par la violence, la misère et l'injustice régnant à Gotham City, naîtra le personnage du Joker.
Au milieu de l'insupportable médiocrité sévissant depuis des années dans les productions Marvel et DC, Joker peut sans aucun doute paraître comme un chef-d'œuvre. Mais si l'on prend un peu de hauteur, le film est loin d'être exempt de tous reproches. Une mise en scène entièrement au service de son acteur principal dans une quête sans fin de l'image iconique ne peut, qu'au mieux, élever l'acteur en question à une sorte d'incarnation intemporelle du personnage. Mais que restera-t-il au Joker dans les années à venir en dehors de la performance de Joaquin Phoenix ? A mon humble avis, pas grand chose…
L'interprétation de Joaquin Phoenix dans son rôle du Joker est, sans conteste, remarquable. On pourrait résumer le personnage comme étant un esprit malade dans un corps malade. Son aspect décharné avec ses omoplates saillants et ses côtes qui semblent prêtes à perforer une fine couche d'épiderme, résulte d'une transformation physique extrême de l'acteur suite à un régime à base de légumes cuits à la vapeur lui ayant fait perdre 23 kilos. Côté esprit, l'acteur est un habitué des rôles d'écorché vif, l'un des plus notables étant son rôle de Freddie Quell dans The Master de Paul Thomas Anderson. La démence et la violence qui gangrènent peu à peu Arthur Fleck sont très justement distillées et interprétées par l'acteur, préservant la crédibilité de l'éclosion du Joker.
L'Oscar de meilleur acteur pour Joaquin Phoenix et celui de meilleure musique de film pour la compositrice islandaise Hildur Guðnadóttir récompensent comme il se doit Joker. Quant au sacre du Lion d'or à la Mostra de Venise, on peut voir cela comme une tardive reconnaissance du film de super-héros par l'intelligentsia du septième art. Prenant à contre-pied ses réalisations habituelles de buddy movie (War Dogs, les Very Bad Trip, Starsky et Hutch,...), Todd Phillips met en scène un Joker particulièrement noir et nihiliste. Un joli tour de force, épaulé par la prestation époustouflante de son acteur principal. Il reste juste à définir qui était au service de qui dans cette histoire.