J'me trompe ou alors, c'est de plus en plus la folie ?

Si l'on m'avait dit qu'un jour, j'irai voir day one, au cinéma, un film de Todd Phillips, j'aurais hurlé un truc du genre « jamais de la vie », tant les précédents efforts du bonhomme m'avaient laissé interdit par tant de mauvais goût dans le registre de la comédie.


Si l'on m'avait dit qu'un jour, j'irai voir day one, au cinéma, un film de Todd Phillips et que j'allais le noter dix sur dix, en en profitant pour le hisser tout en haut de mon top dix 2019, j'aurais pensé à un very bad trip, de ceux qui laissent de graves séquelles après un retour douloureux à la réalité.


Le monde a dû voir ses pôles inversés durant la nuit, car ce jour est arrivé.


Car Todd Phillips à la barre d'un comic book movie, en voilà une idée saugrenue, a priori. Un comic book movie réussi, en plus, un comble.


Sauf que Joker constitue une sorte de miracle.


Car Joker s'affranchit de soixante quinze ans d'histoire de son icône, en plus de quatre vingt ans d'héritage de la mythologie Batman, où plus grand chose ne reste à raconter. Pour s'emparer d'un personnage et le réinventer, sans toutefois en trahir l'essence. En osant même le dépouiller de son goût de la mise en scène sadique, de ses débordements comiques, de la folie sonore de ses éclats de rire déments.


Au point de penser, un long moment, qu'il ne s'agit même pas d'un comic book movie, tant le film pourrait exister sans exploiter le genre dans lequel il évolue. Tandis qu'un homme insignifiant perd peu à peu ses repères. Tandis qu'il perd peu à peu pied dans une société malade de sa ségrégation économique.


Un homme bafoué, rejeté, laissé-pour-compte par un système qui s'acharne à broyer le peu d'existence qui lui reste. Une plongée dans une désespérance aux allures effroyables, dans une ville de Gotham libérée de la modernité Nolanienne ou des visions de Tim Burton. Il faudra plutôt se référer à Taxi Driver ici, tant les rues semblent crasseuses, tant elles semblent peuplées de déclassés.


Une ville sous pression qui n'a qu'un désir : celui d'exploser. Elle n'a besoin que d'une étincelle. Celle procurée par une violence crue, qui claque comme un coup de feu dans le métro. Et tandis qu'Arthur Fleck bascule irrémédiablement, la ville se trouve un symbole. une incarnation de ses frustrations et de son ras-le-bol.


Un masque en forme d'image de ralliement, comme celui de V.


Ce qui n'est pas encore le Joker est né de cette nuit, enfanté par une société en état de pourrissement. En retour, Arthur Fleck se mue en agent viral de son propre chaos mental sans retour, agent infectieux fulgurant qui met le feu à la ville. Le film de Todd Phillips a beau se dérouler dans des années quatre-vingts indistinctes, il trouve cependant un écho terrible dans la société de 2019, effrayante dans ses débordements et son mal être.


Sans jamais perdre de vue cette histoire de la folie ordinaire de cet homme, qui apparaît comme l'alter ego du réalisateur. Un personnage tout aussi pathétique qu'attachant, tout aussi tragique que décalé. Joker met un point d'honneur à mettre en image ce moment de bascule, cet instant minuscule où la tête d'un homme casse sans possibilité de retour en arrière. Ce moment où le mal est fait et ne peut que déborder. Joaquin Phoenix est habité, brûlant, désarticulé mentalement, en rappelant ce qu'il a porté dans A Beautiful Day, tandis que la caméra de Todd Phillips, apaisée, clinique, nourrit la folie et illustre certaines obsessions télévisuelles en allant rendre une petite visite de courtoisie à Requiem for a Dream.


Le reste n'est qu'anecdote : ses références discrètes à Killing Joke, la façon dont il utilise les deux figures les plus élémentaires de la mythologie du caped crusader, sa façon de dépeindre un Thomas Wayne cynique et inconséquent.


Joker écrit en effet sa propre légende, dans une ascension dans l'horreur assez suffocante, dans une marche funèbre inexorable, tranchant avec la frivolité ambiante du blockbuster contemporain. Mais malgré tout, on sort de la salle avec le sourire que Todd Phillips a réussi à nous inscrire sur le visage, tant la réussite du film est terrassante, surprenante, radicale.


Behind_the_Mask, des sourires et des hommes.

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