Joaquim Phoenix est très bon dans son rôle du Joker, surtout après le passage de la tornade Heath Ledger, de laquelle il s'inspire sans pour autant pomper son jeu et sa manière.
Voilà c'est dit. Maintenant passons à la critique.
Le film est construit n'importe comment. Comme si il ne savait pas quelle histoire il voulait raconter. Ce qui nous donne ce sentiment étrange, que certains ont qualifié de volontaire, où l'on est partagé entre notre attachement pour Arthur et la moralité de ses choix. J'aurais accepté ça comme un choix artistique si le reste du film n'était pas plein d'autres maladresses et bizarreries qu'ont ne peut plus imputer au choix artistique. Parce qu'un choix, c'est fait pour aller quelque part ! On le fait dans un but précis. Alors je repose cette question: où va le film ? et surtout: qui le dirige ?
Dans la ville d'Arkham où les poubelles s'entassent, gris-brun caca contre les couleurs chatoyantes de la télé, ou pourrait espérer voir tout le monde se bouger le cul et tenter chacun à sa manière de faire ce qui peut se faire. Mais personne ne fait rien.
Dans ce status quo, Arthur est le seul élément disrupteur, le seul capable de faire bouger les choses et de ramener un peu de vie dans cette ville morte. Mais ce ne sont que des coups d'épée dans l'eau, inutiles. Quand il interagit avec le monde qui l'entoure, on ne lui renvoie que son handicap dans la gueule sans prendre en compte ses paroles. Les habitants ne sont plus que les rôles qu'on leur a endossé, incapables de formuler leurs propres idées, leurs propres opinions. Des panneaux de carton qu'on place et qu'on déplace. Orchestration mélancolique, plan aérien de la ville d'Arkham, soleil couchant, fondu au noir.
Ok très bien, donc tout le monde sauf Arthur est un PNJ alors ? Les dialogues sont à 80% chiants et sans saveur, même l'affrontement final avec le présentateur télé décolle difficilement, c'est bien qu'il y a une raison, c'est une métaphore de la société capitaliste fade, oui c'est ça. C'est forcément un choix artistique.
Alors expliquez-moi la scène avec l'archiviste de l'asile d'Arkham. Deux citoyens impuissants qui ne veulent que s'aider se lamentent sur leur sort, obligés de se plier aux règles de la société pour l'un, de son job pour l'autre. L'archiviste est conscient de sa condition, mais conscient de son impuissance. Lorsqu'Arthur lui avoue à demi-mots, puis tout à fait franchement, qu'il a tué les 3 bankers du métro, l'archiviste ne le condamne pas, il le conseille. Il ne le condamne pas beaucoup plus lorsqu'il vole le dossier de sa mère, tout au plus est-il agacé parce que ça lui retombera dessus. Ce ne peut pas être un PNJ: sa réflexion n'est pas binaire.
Alors pourquoi ? Pourquoi cette impression de parler à un mur lorsqu'il est avec ses collègues de travail, sa thérapeute, les riches gosses du métro ou le candidat Wayne, et l'impression d'un vrai dialogue avec cet archiviste ? il n'est pas exceptionnel, il ne juge pas les actions d'Arthur. Il n'est pas un personnage important, ou même récurrent. Pourquoi aurait-il lui, le droit à un dialogue mieux écrit, mieux joué ?
Vous allez me dire que je me plaint parce qu'il n'y a qu'un seul bon dialogue dans le film et que c'est inconsistant avec le reste. Non il n'y en a pas qu'un. Quand la mère d'Arthur lui avoue ses "réelles" origines, et que mère et fils discutent à travers la porte de la salle de bain, à aucun moment l'un des deux ne dit "Je t'aime"... et pourtant l'on comprend, on ressent la fragilité de ces deux personnages qui tiennent l'un à l'autre comme on s'accroche au rebord d'une falaise. Ou quand Arthur se fait renvoyer de son taff par un patron borné et sourd, projetant les deux personnages dans une façade souriante pleine d'excuses et de gentillesse, si caricaturale de la société maladive qui pourrit cette ville. Il y a de vrais bons moments dans ce film. Des bonnes scènes sans dialogue aussi: le long travelling dans le night-club où Arthur prend des notes et rit tout haut, si décalé d'avec les autres spectateurs (et donc la société). Toutes ces scènes fonctionnent parce qu'elle racontent sans dire, parce qu'elles font glisser un petit message sous la porte, discrètement, et c'est à nous de le prendre et de le lire. Par moments le film est très capable.
J'ai même beaucoup ri, aux moments gênants où le film voulait justement nous faire rire, pour questionner ce rire et notre rapport aux émotions que le contexte devrait imposer. Quand Arthur se mange la porte automatique, quand le nain n'atteint pas le loquet de la porte, la blague du carnet "more cents than my life"... là aussi c'était bien joué, la question que le film soulevait était cool et bien amenée.
Mais bordel cette musique. Si il n'y avait pas cette foutue musique, toujours là, toujours à appuyer sur nos nerfs pour nous dire "là tu dois être triste", "et puis là en colère", "là tu dois avoir peur, et après tu dois rire" bon sang je croyais que le message du film c'était qu'il ne fallait pas se laisser porter par la société et être qui nous sommes, quoi qu'il en coûte ? Réfléchir par nous mêmes ? Alors pourquoi nous forcer les émotions d'Arthur au fond du gosier comme si on était de stupides spectateurs incapables de comprendre ce qu'il se passe dans sa tête ? Incapables de décider par nous même des émotions qu'on veut ressentir ? Autre exemple: le twist de milieu de film, qui nous révèle que non, en fait le Joker est bien tout seul dans sa vie sans personne sur qui compter. C'était bien nécessaire de nous remontrer TOUTES les scènes du film où la meuf était apparue, pour bien nous faire comprendre que c'était tout dans la tête d'Arthur ? Je suis le seul qui ait trouvé ça lourd, insultant même ?
Et puis à côté de ça quand il se passe enfin quelque chose qui mérite un peu d'explications et de pondération, quand le film arrive à son point climatique, la révolte, le meurtre des Waynes, Joker en dark messie, "vous ne comprendriez pas" wink wink... alors là plus personne. Non, vous voyez, on a fait un film adulte, on préfère vous laisser réfléchir seuls et pondérer le contexte du film avec votre propre expérience parce que nous traitons nos spectateurs respectueusement. QUOI ?? Pardonnez-moi de m'excuser mais mais quoi ?? D'où vous abandonnez votre propre histoire aux mains des spectateurs alors que pendant toute la pellicule vous leur avez tenu la main comme à des gosses ? C'est ça la caution artistique, laisser les autres nous raconter notre film quand on sait plus nous même ce qu'on raconte ?
Bon les copains il va falloir se décider. Qui c'est qui dirige ce film ? qui décide de la morale ? c'est moi, c'est le directeur artistique, ou c'est les investisseurs ? parce que tout le monde est perdu là, plus personne comprend rien, et au final, chacun comprend ce qu'il veut. Et tout le monde se tape sur la gueule.
En définitive d'après moi, ce film tente d'avoir un propos, de délivrer une histoire et un message, mais ne déploie tout simplement pas assez de talent et de compétence pour atteindre le niveau visé. Il se prend les pieds dans le tapis mais continue de marcher, sans jamais réussir à vraiment tomber ni à se redresser totalement. En résulte un film moyen, brouillon, parsemé de scènes brillantes qu'on croirait tirées d'un meilleur film.