Nombreux sont ceux qui n'ont pas apprécié le film, mais qui ont salué la performance de Joaquin Phoenix. Je suis tentée de faire de même, mais je n'aime pas l'espèce de tendance à excuser la merde que respire ce film juste parce qu'il y a un bon acteur (même si j'apprécie beaucoup Joaquin Phoenix).
Je semblerai peut-être méchante injustement envers ce film, je vais alors expliquer mes raisons de ne lui faire aucun cadeau. Tout premièrement, Joker se drape d'une vague apparence de film d'auteur, de film hors du commun. L'acteur principal est connu pour avoir tourné avec de grands réalisateurs tels que James Gray, et semble être une espèce de caution intouchable du film. Que nenni... Si un film tourne entièrement et repose exclusivement autour d'un acteur, c'est qu'il est mauvais. Ça m'énerve qu'une merde prétende être autre chose qu'une merde, juste parce qu'elle a du budget. Je suis déçue, car sans budget ça aurait pu faire un bon nanar.
Passons.
En dehors de cette prétention, le film est un vide intersidéral. Un vide au niveau du scénario, du montage, de l'originalité, une véritable insulte à l'intelligence du spectateur. Il n'y aucune surprise, qu'elle soit bien ou mal faite. On s'ennuie comme un rat mort. Les crises de rire du Joker ne sont que des tentatives désespérées de donner une touche grinçante et malsaine au film.
Mais ce qui me dérange le plus est l'espèce de fatalité qui ronge ce film. En somme, le Joker n'est que le produit d'une succession de fâcheux éléments qui ont croisé son chemin. C'est surtout une victime de la société, un oppressé (comme nous tous d'ailleurs...). Face à lui, terrible, implacable: l'abominable homme blanc, riche, puissant et n'hésitant pas à exploiter le petit peuple.
Ainsi, c'est un choix qu'ont fait les créateurs du film. Ils ont refait le Joker et Gotham à la sauce de leur idéologie. Car mis à part l'apparence, et encore, cela n'a rien à voir avec ce que nous connaissons d'eux.
Le Joker se voit affublé du titre de symbole des faibles et des opprimés, des minorités, de tous les oubliés de la société, face à l'ennemi de toujours: la société patriarcale des riches hommes blancs.
Même si on fait le choix de considérer le film comme à part, sans penser à DC, à Batman, ou aux Jokers précédents, on ne peut oublier les traits caractéristiques du Joker et de Gotham City: Le Joker est fou, et ses actes sont gratuits. Il n'a pas eu besoin d'être maltraité par la vie, il est tout simplement au-dessus du concept de morale, de bien et de mal. C'est exactement l'inverse que nous fait ici ce piètre clown. Ensuite, Gotham est à l'origine la ville du crime. Ici, c'est la ville où subsistent la veuve et l'orphelin, ou nul n'est mauvais (s'il est pauvre), mais vole, tabasse, tue par nécessité. Il faut bien comprendre que la délinquance et la violence qui rythment le film ne sont que de malheureuses conséquences de l'oppression des faibles.
Avez-vous observé la foule de rebelles qui s'élève sous des masques de clowns et pillent les rues de Gotham, mettent le feu à des poubelles, et choisissent comme symbole le Joker? Je les trouve bien sympathiques... On dirait les lycéens qui font la grève du climat. Je ne vois pas ici de truand endurci, mais des jeunes cagoulés (on apprécie d'ailleurs le "merchandising" pour le masque de clown), à l'apparence "cool" et familière. Il n'y a pas de figure qui incarne cette foule, ce ne sont que des anonymes, mais ils ne sont pas assez effacés pour nous empêcher de nous identifier à eux. Ils ressemblent à l'idée que le public se fait de lui-même: des jeunes en sweat et en baskets, à la mode, oubliables...
Cette identification à la foule vante chez le spectateur une frustration liée à sa propre vie médiocre. Le besoin de rébellion qui l'habite se trouve caressé dans le sens du poil, et tout le ressentiment du spectateur se tourne vers le coupable tout trouvé: le vilain patriarcat. Alors que si le spectateur ressent toute cette haine, c'est parce qu'il est aliéné par sa vie de consommateur. Il n'a pas de réelle ambition dans sa vie, pas de frisson de l'existence. Il vit le cul posé sur un canapé à consommer tout ce que la sainte industrie lui apporte. Dès lors, la teneur misérabiliste du film prend une autre dimension: elle excuse la médiocrité de chacun, la faiblesse dont nous faisons preuve. Si nous sommes des larves, ce n'est pas de notre faute: c'est le système qui en est la cause! Unissons-nous et faisons leur la peau!
Ce film fait du consommateur qui n'a jamais rien eu à subir dans sa vie une victime. Et il rend glorieux ce statut de victime. Ce n'est pas honteux d'être faible, c'est une force, et il faut s'unir sous cette bannière! Car après tout, nous qui vivons le cul posé sur notre canapé, portons un si lourd fardeau...
C'est pour cela aussi que le soutien apparent des minorités au Joker renforce ce sentiment de victimisation. Et comme par hasard, ses agresseurs dans le métro sont trois hommes blancs et riches, alcoolisés... Je ne dis pas que cela n'arrive jamais, mais c'est un choix de réalisation avec un but bien précis. Si on veut être réaliste, jamais ces hommes n'auraient pris le métro, transport populaire, pour rentrer de soirée. Ils auraient appelé un taxi ou tout simplement auraient pris leur voiture. Et évidemment, ils harcelaient une femme avant de s'en prendre au pauvre clown...
Encore une fois je ne dis pas que tout cela n'arrive jamais, mais c'est une volonté pour faire prendre au film une direction idéologique.
Enfin, lorsqu'il aura bien vanté cette faiblesse et cette victimisation larvées en nous, maux de notre siècle, le film s'en verra récompensé: croyant se dés-aliéner, le spectateur va consommer ce produit de façon d'autant plus intensive. Il incarnera le rôle d'idiot utile du capitalisme.