Décrit aussi bien comme « le film le plus anticapitaliste produit depuis des années » (Le Monde), que comme un film « cynique, inconsciemment raciste, et pro-Trump » (The New Yorker), voire de fachos (France Inter), Joker de Todd Philipps est l’une des grandes surprises de 2019. Un Joaquin Phoenix métamorphosé y interprète Arthur Fleck, un individu marginalisé, atteint de troubles mentaux qui vit chez sa mère Penny. Comédien raté, méprisé, Arthur travaille comme clown mais rêve de devenir humoriste et d’accéder à la célébrité. Philipps dresse le portrait cruel de l’Amérique reaganienne des années 1980 qui célèbre la société du Spectacle incarnée par l’animateur de talk-show Murray Franklin (Robert de Niro), dans un pays rongé par le chômage, la violence, la pauvreté, la petite délinquance, l’abandon des services sociaux et l’explosion des inégalités.
Un soir, à la suite d’un fou rire en raison de son handicap, trois hommes agressent Arthur dans le métro. Utilisant une arme, il tue les trois agresseurs. Comme ces trois individus étaient des salariés de Waynes Enterprise, ce meurtre cristallise les fractures sociales qui traversent Gotham et déclenche un mouvement populaire contre les riches. Pour la première fois, Thomas Wayne est présenté sous les traits peu flatteur du milliardaire froid, méprisant, et déterminé à faire rétablir l’ordre en se portant candidat à la mairie de Gotham City. Le film raconte l’escalade d’Arthur, porté par le climat de guerre sociale, son entrée dans une folie destructrice et la multiplication de ses meurtres lui permettant d’accéder à la célébrité sous le nom du Joker. Chacun se fera son avis sur la question de savoir si le Joker de Todd Philips constitue un apôtre des luttes sociales ou un individu qui, une fois la reconnaissance acquise, veut simplement contempler, avec jubilation, Gotham en train de brûler et s’effondrer. Quoi qu’il en soit, le film offre en miroir une profonde réflexion sur une société minée par l’explosion des inégalités, l’injustice et gagnée par le ressentiment à l’égard de ceux qui, pour parler comme le journaliste britannique David Goodhart, « décident des changements politiques, sociaux et culturels, alors qu’ils sont minoritaires » ..