Que de bruit suite à la sortie de cet objet insolite dans le monde du blockbuster actuel. Monde de plus en plus vidé de ce qui faisait autrefois sa force, en proie au fan service le plus racoleur et aux effets pyrotechniques de plus en plus redondant. Il va de soi que face à la myriade de produit vide d'intérêt narratif et visuel, Joker avait sa singularité.
Cependant, le soufflet étant retombé, et sa suite ayant été démolie dans les grandes largeurs par la critique, que vaut vraiment le premier long-métrage centré uniquement sur le Clown Prince du crime, signé Todd Phillips et sorti en 2019?
Force m'est d'admettre que bien que le culte autour de ce film reste démesuré, le phénomène Joker est véritablement fascinant de ce qu'il dit de notre perception du monde, au delà du film lui-même. Davantage que ce que le film raconte, ce qu'il donne à voir de notre société, de son désespoir entretenu par un monde politique masquant de moins en moins son absence de solution s'avère éminement pertinent et osé, dans une industrie désormais vouée à l'absence de prise de risque. Qui plus est, ce "stand alone" autour du célèbre super-vilain prend plus des atours de film d'auteur, adoptant un rythme lent et une esthétique maladive saisisante. Et délivre une vraie charge pamphlétaire.
Cependant, il serait impromptu de croire que les classes dirigeantes soient seules visées par le long métrage. De fait , Joker est un drame collectif, où chacun a sa part de responsabilité. Ce film est le récit de l'échec d'une société conduisant à la naissance du Mal Absolu. Du contremaitre au grand patron, du pékin moyen à l'intellectuel pétri de certitudes. Un drame dont seul le Clown Prince du crime sort gagnant. La colère qui grondait dans un monde malade.
Par ailleurs, Joker s'attaque à ceux qui briment les autres par pure cruauté, de même qu'à ceux qui dissimulent leur haine derrière une dérision "sans intention méchante". Ainsi qu'à tous ceux qui seraient tenter de faire de la démagogie basique afin de satisfaire leur ego. ( Beaucoup ont du se reconnaitre). Le film agit comme une catharsis mais également comme un procès jubilatoire à charge de dénoncer ceux qui exercent un humour "sans méchanceté" vis-à-vis des personnes plus faibles qu'eux. En effet, le passif de Todd Philips dans le genre de la comédie lui aura permis de maturer le thème de l'humour, de celui qui brime à celui qui exprime le malaise de la société. Comme le déclare le Joker, lui-même, le rire dépend fortement du contexte. Ce que les autres voient comme un divertissement léger n'est finalement que le prolongement des violences en tout genre que son entourage fait subir au personnage d'Arthur Fleck... De ce fait, son alter ego agit tel un bras vengeur, vis-à-vis des bourreaux de tout bord.
Pas étonnant d'ailleurs qu'il ait artificiellement divisé la presse à sa sortie. Comment les médias mainstream, perdu dans le vide intersidéral imposés par leurs lignes éditoriales respectives, auraient ils pu élaborer de critique un tant soit peu constructive à l'égard une œuvre revendiquant clairement n'avoir d'autre but que le fait de cracher sur leur moyen de gagne-pain?
Ou pour citer Guy Debord: " L'incompréhension dans ce cas s'impose pour encore quelques temps. Le spectacle est une misère bien plus qu'une conspiration. Et ceux qui écrivent dans les journaux de notre époque ne nous ont rien dissimulé de leur intelligence. Ils emploient couramment tout ce qu'ils en ont. Que pourraient ils dire de pertinent d'un film qui attaque en bloc leurs habitudes et leurs idées? Et qui les attaque au moment où eux-mêmes commencent à les sentir s'effondrer dans chaque détail? ".