"I just hope my death makes more cents (sense) than my life"

Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) écrit dans son petit cahier : "I just hope my death makes more cents (sense) than my life." On assiste à la "mort" d'Arthur Fleck et à la "naissance" du Joker ...

Et on peut le constater à la fin du film, quand les deux clowns l'extirpent de la voiture, comme s'il s'agissait de sa naissance.

Joker est un film qui adopte le point de vue de son personnage principal Arthur Fleck/le Joker, un personnage erratique et au bord de la folie. On ne peut jamais se fier à ce qu’il fait ou ce qu’il dit, tout est sujet à interprétation. Et si on a l'impression que chacune de ses actions est justifiée, c'est seulement parce que c'est lui qui trouve une justification à tout. On peut trouver tout un tas de films références à ce Joker de Todd Phillips, à commencer par Fight Club, V pour Vendetta, The Machinist, Watchmen ... mais aussi et surtout Taxi Driver et La Valse des Pantins (petit miroir sympa pour Robert De Niro). Comme dans Fight Club, tout est sujet à interprétation, tout est ambigu. Je pense qu'il me faudra un second visionnage (comme pour Fight Club) afin de repérer tous les petits détails cachés dans la mise en scène ou dans les dialogues.

On se pose dix mille questions devant ce film et sur Arthur Fleck : Quelle est la part de folie en lui ? Quelle est la part de folie en lui, induite par son entourage ? Que ferions-nous à sa place ? Tous ses malheurs, qui s'apparentent à de l'harcèlement scolaire, forcent à l’empathie, mais ses actions provoquent le malaise. Todd Phillips parvient plus ou moins bien à rester sur la tangente, à ne pas en faire trop, ne pas en faire le héros désigné du peuple, même si je trouve tout de même qu'il laisse un peu trop de place à l’empathie.

Le peuple choisit, certes ... mais parfois, il choisit mal. Le Joker a été choisi par le peuple. Or, le Joker est tout sauf saint d'esprit, c'est un psychopathe, un meurtrier et un malade mental. Hitler lui aussi a été choisi par le peuple. Il faut donc se méfier du peuple et de son pouvoir de décision. Le Joker devient un sorte de symbole "malgré lui" dans un Gotham des années 20-30, une ville fictive qui ressemble à New York ou à Chicago et à une époque où le peuple est fasciné par les gangsters.

Le film laisse libre cours à l'interprétation. Certains y verront une révolte populaire violente qui a trouvé son leader. D'autres comme moi y verront un artiste raté qui a enfin trouvé son public : "For my whole life, I didn't know if I even really existed. But I do, and people are starting to notice." Le Joker n'en a que faire des révoltes. D'ailleurs, ces révoltes se déroulent en parallèle de son propre parcours, sans jamais se croiser. Arthur Fleck veut juste qu'on sache qu'il existe et il devient le Joker justement parce qu'il veut qu'on le remarque et qu'on l'aime. Todd Phillips montre bien à quel point il apprécie cette mise en lumière, il la savoure même. C'est ce qu'il recherche, la mise en lumière. Il n'en a que faire d'une lutte qui le dépasse et voulant faire de lui un leader du peuple.

Le Joker se berce dans ses illusions, préférant croire que la foule l'acclame pour lui et pas pour ce qu'il représente. Il a réussi à monter sa grande comédie : "I used to think that my life was a tragedy, but now I realize, it's a fucking comedy." Arthur ne se voit pas du tout comme un leader du peuple ou comme la voix du peuple. Dans son délire à lui, c'est un comique et il veut que le peuple l'admire pour sa grande comédie. Or, dans la réalité, c'est un homme tragique, c'est la voix du peuple.

Todd Phillips ne justifie jamais les actions violentes du Joker, mais il met tout de même en lumière le dédain, la méchanceté et les injustices permanentes dont il fait l'objet. Il montre l'ignorance de la majeure partie du peuple à l'égard des gens qui sont soit dans le besoin, soit en situation de handicap (mental ou physique). En tant que personne elle-même rejetée par la société depuis son enfance, Arthur Fleck comprend le désarroi d'une personne en situation de faiblesse. Le fait de rire devant certaines situations tragiques, montre sa souffrance à lui. Les situations impliquant son collègue de petite taille (un nain, quoi !) en est un bon exemple. Lui aussi est en situation de faiblesse, lui aussi est rejeté par la société pour ce qu'il est. Or, parmi tous ses collègues, lui seul le traite avec respect et avec humanité ...

J'ai eu des frissons au moment où le nain tente d'ouvrir la porte pour fuir, mais qu'il échoue parce qu'il est trop petit pour atteindre le loquet. Sur le moment, le joker est absolument terrifiant et drôle en même temps. Une situation tragique devient comique, au moyen d'un humour noir, très noir.

Et puis il y a la performance de Joaquin Phoenix, magistral dans le rôle d'Arthur Fleck puis du Joker. En suivant l'exemple de Christian Bale dans The Machinist, il a décidé de se transformer physiquement pour ce rôle, en perdant "facile" au moins 20 kg. On voit ses côtes, ses omoplates décharnées, le dos couvert de bleus après s'être fait tabasser dans la rue. On voit un corps tout frêle, tout maigre. On a l'impression que son corps est enfermé dans un cocon et qu'il va se déchirer pour donner naissance au monstre qui sommeille en lui. On ressent aussi tout son malaise à travers son rire incontrôlé et de son désir ardent (bien que maladroit) de faire rire son prochain. La scène du bus au début du film l'illustre parfaitement, lorsqu'il essaie faire rire l'enfant avec ses grimaces, mais ne réussit qu'a lui faire peur.

Au final, Todd Phillips montre comment les plus démunis sont laissés dans la misère, ce qui peut contribuer à en faire des monstres. Certains parmi les plus démunis finissent par le devenir, à défaut d'espoir et de raison d'exister. C'est ce que le personnage dit à sa psychologue "For my whole life, I didn't know if I even really existed. But I do, and people are starting to notice." Rien ne peut générer plus de haine et de violence, que le fait d'être humilié en public et d'être rabaissé à répétition. N'importe qui peut basculer un jour ou l'autre, parce que laissé pour compte. Lorsqu'il devient violent, le Joker ne semble pas y prendre particulièrement du plaisir, comme le font généralement de nombreux violeurs, pédophiles et autres tueurs en série. Cette violence en fait bien évidemment un criminel, qui doit payer pour ses actes. En prenant un peu de recul et sans vouloir l'excuser, on peut comprendre ses actes (même ses actes les plus extrêmes). Les médias (ici un talkshow) profitent de sa faiblesse, pour vendre des produits, pour créer des besoins, pour faire oublier un quotidien difficile.

Et si beaucoup de gens se retrouvent dans dans le Joker, c'est que l'injustice dénoncée dans ce film est plus que jamais réelle et forte. Si les gens n'avaient aucune raison de se plaindre, s'ils se sentaient valorisés et avaient confiance dans leurs dirigeants, un film aussi profond soit-il ne suffirait en rien à les faire réagir de la sorte, car la question de s'identifier au personnage ne leur viendrait même pas à l'esprit.

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le 9 juin 2023

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lessthantod

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