Dangereuse représentation de la radicalité

Dans "Jouer avec le feu" , Pierre, cheminot veuf, n’a que ses mains pour travailler, que ses principes pour tenir debout. Il a élevé ses fils dans l’idée d’un monde juste, où la lutte ouvrière et la fraternité façonnent les destins. Mais le vent tourne, et c’est un fils qu’il ne reconnaît plus lorsqu'il se dresse face à lui. Fus, l’aîné, glisse vers un ailleurs qu’il ne comprend pas, happé par un groupe d’extrême droite.

Mais le film ne se contente pas d’être un drame familial. Le film pose une question : Pourquoi un fils d’ouvrier, élevé dans des valeurs progressistes, se laisse-t-il séduire par une idéologie qui trahit tout ce que son père lui a appris ? La réponse ne tient pas en une ligne. C’est tout le trouble du film : explorer la séduction du radicalisme sans jamais l’excuser, montrer comment l’extrême droite ne se construit pas seulement dans le vacarme des propos, mais dans les interstices de notre société.

Le cinéma a souvent buté sur cet écueil : comment représenter la fascination sans l’alimenter ? Jouer avec le feu frôle souvent cette limite. En s’immergeant dans le quotidien du groupe, en captant la ferveur des rituels, la solidarité virile qui s’y noue, le film restitue la force d’attraction sans la déconstruire suffisamment.

La trajectoire du fils suit un schéma narratif presque mécanique : il découvre un groupe d'extrême droite, se laisse endoctriner, passe à l'acte et finit en prison. Ce choix scénaristique pose plusieurs problèmes car il réduit la radicalisation à un parcours forcément extrême et criminel, alors que dans la réalité, elle s'exprime souvent par des engagements plus diffus, occultant les formes plus insidieuses de la dérive idéologique, comme la normalisation du discours radical et la banalisation de certaines idées. Il donne l'impression que la radicalisation mène inévitablement à un acte de violence spectaculaire, alors que beaucoup de jeunes basculent sans pour autant devenir criminels.

Le problème du film réside là, exonérer les formes de radicalisation plus modérées mais tout aussi problématiques. En associant la radicalisation uniquement à la violence extrême, Jouer avec le feu donne l'illusion que tant qu'un individu ne commet pas d'acte criminel, son engagement reste anodin ou inoffensif. Le film met en avant l'idéologie d'extrême droite comme un engrenage qui mène inévitablement au crime.

Par ailleurs, il laisse penser que la justice résout la question de la dérive idéologique, alors qu'en réalité, la prison est parfois un lieu où ces idéologies se renforcent plutôt que de disparaître.

Un autre problème du film est de laisser une question en suspens : pourquoi et comment ce jeune homme bascule-t-il ? L’engrenage est montré, mais jamais véritablement expliqué. En évitant d’explorer les influences concrètes, les failles psychologiques et les fractures sociales qui nourrissent ces dérives, Jouer avec le feu se heurte à une limite : celle de faire paraître que se radicaliser est une fatalité.

Et pourtant, ce qui demeure aussi après la projection, ce n’est pas la trajectoire du fils, mais l’effondrement du père. Pierre incarne une génération qui croyait à la transmission, à l’héritage des luttes, et qui se retrouve face à une jeunesse qui cherche ailleurs. Son impuissance est le véritable cœur battant du film. Lindon n’a pas besoin de longs dialogues : sa présence suffit à faire exister ce basculement du monde, ce vertige d’un père qui comprend trop tard qu’il a perdu son fils bien avant de le voir partir. Cependant, tout le monologue au tribunal n'a aucun intérêt.

La scène finale, qui enferme Fus derrière les murs d’une prison, n’a rien d’une résolution. Au contraire, elle laisse une brûlure ouverte, une question sans réponse : et après ? Que reste-t-il, une fois que les cendres sont retombées ?

cadreum
3
Écrit par

Créée

le 31 janv. 2025

Critique lue 88 fois

5 commentaires

cadreum

Écrit par

Critique lue 88 fois

5

D'autres avis sur Jouer avec le feu

Jouer avec le feu
Cinephile-doux
6

Deux fils dont un facho

Que dire de neuf à propos de Vincent Lindon, pour sa prestation dans Jouer avec le feu où son rôle de père cheminot, élevant seul ses deux fils, semble taillé à sa gigantesque mesure. Mais ne...

le 14 nov. 2024

15 j'aime

3

Jouer avec le feu
VacherinProd
7

Made in French

Il est peut dire que nous vivons des chamboulements politiques, ou au moins, un clivage de plus en plus extrême auquel nous somme confrontés dans la vie politique et civil ne sont pas sans...

le 23 janv. 2025

8 j'aime

8

Jouer avec le feu
VioletteVillard1
8

Jouer avec le feu : " Il est des hommes qui se perdront toujours"

Dans un drame désespéré et vibrant, Vincent Lindon incarne un père veuf perdu face à la dérive extrémiste d’un de ses fils.Un principe de nervosité couve dans tout le film des sœurs Coulin, à l’image...

le 25 janv. 2025

6 j'aime

Du même critique

Maria
cadreum
9

Maria dans les interstices de Callas

Après Jackie et Spencer, Pablo Larrain clôt sa trilogie biographique féminine en explorant l'énigme, Maria Callas.Loin des carcans du biopic académique, Larraín s’affranchit des codes et de la...

le 17 déc. 2024

21 j'aime

3

L’Amour au présent
cadreum
4

La forme en ornement sur le fond

Mélodrame incandescent où Florence Pugh et Andrew Garfield incarnent des amants suspendus entre l'éclat fragile du présent et la pénombre inexorable de l'éphémère. Leur alchimie irradie l’écran,...

le 25 déc. 2024

18 j'aime

2