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La fraternité du ring

Cette relecture de Sanshiro Sugata est encore moins martiale que la version expurgée autorisée après la guerre (chuukou-free). Judo montre une sorte d'idéal de société où la violence est ritualisée pour être neutralisée (voir comment le prêteur passe du cutter à la prise de judo). Où l'obsession de la compétition trouve un exutoire gratuit, et où l'honneur ne repose pas dans le sacrifice : l'enjeu n'est pas de prouver son courage ni de gagner le respect d'un adversaire en risquant sa vie - au pire, il faut accepter de se faire ridiculiser.

Alors l'ancien judoka suicidaire espère peut-être que ses dettes d'argent vont provoquer sa mort : peine perdue, tout ce que veut le prêteur, c'est qu'il reprenne le combat, pour avoir une chance de le battre. En s'endettant, il crée un lien social - et telle la Chine avec les USA, le créditeur n'a pas intérêt à voir dispararître son débiteur, ah ah.

L'art de la chute

Johnnie To aurait tourné ce film pour redonner du courage aux Chinois frappés par la crise économique. Si le judo enseigne la manière de tomber, peut-il apprendre à perdre son fric? La seule à ne pas parier, à ne pas risquer tout ce qu'elle a de manière compulsive, est la femme. Sa trentaine d'années réduit son espoir d'une carrière dans le spectacle. Elle a déjà "tenté sa chance" dans d'autres grandes cités, elle est prête à repartir à nouveau de zéro au Japon. Unique personnage féminin du film, elle est aussi la plus attachée à l'argent : elle ne remet pas toutes ses économies en jeu à chaque pari, mais elle joue sa vie en solo.

Bien que douce-amère, Judo choisit la comédie : il tourne en danse la violence des rapports entre les hommes - et tout s'arrête lorsqu'est envisagée la possibilité qu'elle vise la femme : la cacophonie des jeux-chamailleries des garçons s'interrompt chaque fois qu'elle répète qu'elle n'est pas une prostituée. Le film pose les limites de la comédie, le cadre moral d'une sorte de manifeste pour une société sans armes. Ici, le "maître" le plus cruel est le déboiteur d'épaule. "C'est ma seule technique". Douloureuse autant qu'efficace.


Les derviches tourneurs

Les personnages sont caricaturaux, comme souvent dans les films du continent, mais leur idée fixe est un ressort comique. Il y a celui qui veut seulement se battre pour balancer tout le monde par terre - "Il t'a démis l'épaule? C'est pas grave, au bout d'un mois on n'a même plus mal" - , celui qui joue de manière obsessionnelle contre tout le monde, même un gosse qu'il ne se prive pas d'insulter...

Si la femme choisit de travailler pour ce patron de bar, c'est parce qu'il ne s'intéresse pas à elle, accaparé par son désir de mort. Elle, ne pense qu'à l'argent, "judo boy" ne pense qu'à la bagarre - et bien sûr, "Tu seras Sanshiro Sugata, je serai Jigoro!" (il faudra que je vérifie ce dernier nom).

Contrairement aux derviches tourneurs autocentrés, nos judokas sont "dans le contact". Ils n'ont pas une main tournée vers le ciel et l'autre vers le sol, mais les deux pieds collés au sol et les mains agrippées à leur adversaire. Ils ne tournent pas sur un axe vertical, mais opèrent un renversement. Lorsque "judo boy" étrangle avec insistance le suicidaire entre ses jambes (!) jusqu'à l'asphyxie, il veut provoquer sa réaction, réveiller le combattant... Le sortir de sa torpeur alcoolique, là où les derviches entrent dans une transe éthylique, un enivrement chimique et cinétique, supposé les relier au divin, mais les coupant des autres humains.

Judo semble suggérer que si les hommes ne savent exprimer leurs émotions que par la violence, ils n'ont qu'à adopter les viriles étreintes des lutteurs! Evidemment , ça fait aussi naître des sentiments - heu, de camaraderie :p

(je n'ai même pas parlé de la mise en scène, et de la manière dont le film est par excellence raconté via le medium du cinéma - et puis la chute est un ressort comique traditionnel, or l'un des sujets ici est la transmission de la tradition, ici fondation de la solidarité, y compris avec les "handicapés" - Judo fait passer le fond sérieux sous une forme jubilatoire)

Je ne sais plus qui disait qu'il y avait deux rires : l'un, bienveillant, celui du parent qui regarde son enfant tomber. On verra qui rira quand tu te péteras le bassin !

ChatonMarmot
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le 2 août 2024

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ChatonMarmot

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