À chaque actrice, à chaque acteur semble devoir correspondre son personnage mythique dans lequel ils essaient de se fondre et qu’ils choisissent parmi les figures emblématiques du patrimoine culturel et politique contemporain. Il y a eu récemment Christian Bale en Dick Cheney, Natalie Portman en Jackie Kennedy, Josh Brolin en George Bush, Rami Malek en Freddie Mercury, Naomi Watts en Diana, Nicole Kidman en Grace de Monaco etc. Il manquait à Renée Zellweger son rôle emblématique et plus ambitieux que celui de Bridget Jones : voici venir Judy, biopic consacré aux dernières années de la vie de Judy Garland, condamnée à répéter chaque soir sur scène les mêmes chansons pour subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa famille, occasion également de subir ses vieux démons que sont solitude, alcool et médicaments.
Et ce que le film réussit assez bien, c’est à traduire par l’image la dépendance de son héroïne à la scène qui l’a ravie à elle-même lorsqu’elle n’était encore qu’une enfant, qui lui a permis de renaître d’anonyme en star hollywoodienne sans que cette renaissance ne maintienne en vie la jeune femme qu’elle était et l’innocence qu’elle portait au plus profond d’elle-même. La construction par flashbacks établit des passerelles entre la souffrance présente et son origine antérieure : la dégradation de cette femme est tout entière causée par le milieu du cinéma, puisqu’avec la notoriété arrivent les succès amoureux qui sont autant de désillusions douloureuses. Avec les épisodes extraits de l’ascension de la star s’éclaircit sa chute finale : nous assistons ainsi aux ultimes révoltes d’une actrice qui doit apprendre à se soumettre si elle veut réussir dans un milieu cruel et dominé par la gent masculine – en témoigne une scène glaçante entre le réalisateur et Judy alors apprenti-comédienne.
Ainsi, le film de Rupert Goold est l’un des premiers à mettre sur le devant de la scène les traumatismes d’une femme tombée trop jeune sous les coups de la gloire et des sacrifices qu’elle a exigés : à l’heure où Adèle Haenel brise le silence se laisse entendre une voix dont la pleine tessiture restait méconnue, la voix de Garland venue du passé et qui parle curieusement de notre actualité. Toutefois, la cohérence thématique ne saurait suffire à faire un bon film ; en l’occurrence ici, le réalisateur ne réussit pas à creuser son personnage éponyme, l’enferme dans une série de grimaces qu’affichent le visage déformé de Renée Zellweger. Et le principal problème du long-métrage réside là, dans l’interprétation de l’actrice qui exagère à outrance les émotions que la mise en scène martèle au burin. Goold n’est pas un cinéaste, et sa carrière au théâtre le rend certainement plus sensible à l’expressivité corporelle de ses personnages. Le souci, c’est que n’est pas Patrice Chéreau qui veut, et que la forme qu’il propose pour incarner ce déchant n’échappe jamais aux tics habituels du biopic lambda. En résulte une impression de déjà-vu qui accompagne des plans peu inspirés – exception faite de quelques-uns, comme un plongeon dans la piscine – et donc incapables de porter le jeu excessif de Zellweger. Les sauts temporels ont ce quelque chose de trop mécanique qui évacue l’émotion et bornent le montage à n’être qu’illustratifs.
Judy orchestre ainsi l’impossible rencontre de l’art d’une actrice, chanteuse et danseuse avec l’allégorie dont le film aimerait la couvrir. La dispersion de l’intrigue entre les pays et les époques équivaut à celle du propos d’ensemble. Il aurait mieux fallu resserrer tout cela.