Le juge le plus badass de l'ouest !
https://www.youtube.com/watch?v=j8VNJ-zcu3o
Bon déjà il faut commencer par souligner à quel point la musique de Maurice Jarre composée pour le film est sublime.
Ensuite, grossièrement on peut considérer qu'elle est en trois temps :
1- Enrouée, stridente, avec des cordes disgracieuses, une vieille harpe qu'on aurait repêchée du Pecos et des sonorités sous-marines, comme si on était à l'intérieur de la tête d'un mec se remettant d'une terrible gueule de bois.
2- L'envolée lyrique, les instruments à corde s'interrompent, les instruments à vent prennent le relai, des cordes plus limpides reviennent, et le tout devient mélodique et harmonieux.
3 - Retour brutal à la rouille et aux sonorités désagréables, bref au vieil ouest déchu.
Le film fonctionne comme ce magnifique thème principal. Roy Bean débarque de nulle part pour arriver nulle part.
En plein milieu du désert, dans un saloon-bordel poisseux, et assez glauque, complètement isolé, et qui est très représentatif des obsessions d'Huston.
Puis il va transformer la place, une ville va naître, va grandir, un personnage mythique "le juge Roy Bean" va se révéler, le vieil ouest sauvage va disparaître pour laisser place à la modernité, et puis finir enseveli.
Roy Bean est devenu une légende, un vieux songe, et le saloon initial lui, un musée de l'ancien far west qui traîne toujours au bord de la voie ferrée, et où quelques trains daignent s'arrêter de temps à autre.
FIlm éminemment mélancolique donc sur ma figure mythologique préférée du western.
Le juge Roy Bean, son histoire, ses thématiques, son univers, je trouve tout génial et fascinant là-dedans.
Le type qui décrète qu'il sera la loi dans un monde de sauvage dont la frontière est bordée par la rivière du Pecos.
Ce vieux bougon qui se balance avec classe sur son rocking-chair, avec flingue dans une main et code civil de 10000 pages dans l'autre (qu'il n'a jamais ouvert de sa vie).
Qui décide arbitrairement des sanctions, qui pend les vilains tous azimuts dans la joie et l'allégresse (...), qui compose sa propre équipe de shérifs parmi une bande de bons à rien pieds nickelés (les sept mercenaires du pauvre), qui grâce à l'argent récolté chez tous les condamnés, va faire grandir sa ville et son autorité...
Et puis l'autre facette étonnante de Bean, c'est que derrière cette apparence de gros dur, il y a un vrai coeur tendre.
Bean le Fan de la mythique "Lily Langtry", la star la plus célébrée de l'époque, et qui affiche ses posters partout dans son saloon tel une midinette fan de Britney Spears. Et gare à celui qui oserait les profaner.
Lily Langtry interprétée par la mythique Ava Gardner, au crépuscule de sa carrière, idole absolue de John Huston, qui lui vouait une admiration sans borne, et qu'il considérait comme la femme la plus pure de tous les temps. Bref il y a là-dedans une dimension toute personnelle, et donc une émotion très touchante qui se ressent particulièrement dans la magnifique scène de fin, qui est profondément mélancolique.
Et puis il y a cette série de personnages secondaires très attachants, le fameux ours (le compagnon le plus improbable du western!), la compagne mexicaine (jouée par une toute mignonne et jeunette Victoria Principal, avant de devenir la figure botoxée et plantureuse de Dallas), ou encore le vilain albinos "Bad Bob", et même Anthony Perkins !...
Il y a ce style très BD (On pense forcément à Lucky Luke), avec ses gunfights cartoonesques (et diablement bien réalisés et nerveux !), cet héritage du western classique et italien, ces péripéties qui s'enchaînent à toute vitesse, mais aussi ces temps de pause... Où l'on peut admirer un cadre absolument magnifique et brillamment mis en valeur, le temps de quelques plans séquences, écouter avec délice les personnages discuter en contre-jour face à l'étendue majestueuse du désert :
http://image.noelshack.com/fichiers/2014/52/1419766602-roy-bean.png
Il y a une vraie poésie, un Paul Newman charismatique comme jamais (qui sort pour l'occasion sa plus belle voix caverneuse), des ruptures percutantes dans la narration (je pense à cette scène où Roy Bean quitte les siens pour essayer d'assister à un spectacle de Lily Langtry qu'il verrait pour la première fois, dans le milieu civilisé, bien loin du désert, et où il n'est évidemment pas à sa place), un John Huston qui pour une fois se donne du mal pour mettre au point une mise en scène inspirée et hyper sophistiquée avec son lot de scènes dantesques (le gunfight final explosif est hallucinant de maîtrise tant il est ambitieux et complexe à mettre en place).
Et puis il y a un positionnement politique ambigu, sel de toutes les oeuvres idéologiquement intéressantes. On ne sait pas trop sur quel pied danser, entre John Huston à la réalisation, le progressiste, et John Milius au scénario le gros facho, le film est le fruit de deux conceptions du monde diamétralement opposées, et ça donne un résultat étonnant.
Entre un Roy Bean corrompu jusqu'à la moelle qui pend tous azimuts (le conservateur), et qui se fait piquer sa place par un avocat aux dents longues (le libéral), qui va amener avec lui la civilisation, l'industrie, le capitalisme, en étant bien entendu tout aussi corrompu, et vil.
Le feu d'artifice final remet les pendus à l'heure, en détruisant absolument tout, et en ne proposant donc aucun autre choix que le retour au point de départ.
On pourra reprocher au film de patiner un peu à partir de la deuxième heure, et notamment l'arrivée de Jacqueline Bisset dans un rôle pas forcément très bien fichu, mais l'ensemble est tellement cool, sympa et pêchu, qu'il serait vraiment dommage de s'en priver.
Indéniablement mon film préféré d'Huston, car pour une fois il s'est investi et il n'a pas passé le tournage à se bourrer la gueule au bar !