Les Etats Unis, parangons de la vertu, jugent du haut de leur trône

Dans un jugement à Nuremberg, Stanley Kramer ne s’intéresse pas au procès médiatique des hauts dignitaires nazis tel que le maréchal Goering, l’amiral Donitz, le ministre Ribbentrop et leurs autres petis camarades, qui comme tout le monde le sait fût un ersatz de procès, une farce judiciaire, où on connaissait les accusés avant même les motifs d’accusation ! Drôle de justice …

Le réalisateur américain s’intéresse lui au procès de quatre grands magistrats allemands accusés de complaisance avec le régime hitlérien et de complicité dans les crimes commis par l’Etat allemand.
Et c’est là le questionnement important du film, dans cette trouble période où commence la responsabilité et où s’arrête-t-elle ? Respecter la loi de son pays est ce criminel ? Si ces juristes ont approuvés tacitement la nouvelle législation de ce régime criminaliste, les individus qui ont porté au pouvoir le tyran n’ont-ils pas aussi une part de responsabilité ? Car comme le dit bien l’avocat lors d’une tirade qui fait mouche, si on souhaite vraiment s’attaquer aux responsabilités, personne n’est blanc comme neige. Mais d’ailleurs, malgré la connivence dont ces individus ont fait preuve, qu’elle soit volontaire ou à regret ne seraient-ils pas en fait plus des boucs émissaires que l’on donne en pâture à l’opinion publique ?
Quelle autorité peut se permettre de désigner les « coupables » ? Une nation responsable d’un des plus hauts crimes de guerre de la seconde guerre mondiale, ayant délibérément assassinée plus de 200 000 civils japonais ? Un état qui reproche à d’autre une attitude discriminante alors que lui-même pratique la ségrégation sur son propre territoire ? N’est-ce pas l’hôpital qui se fout de la charité ? Oups pardon, petite digression gratuite de ma part …

Outre ces aspects, je loue la mise en lumière du côté éminemment politique des procès de Nuremberg, mis en place par les américains, qui pour les autorités étatiques fût plus une partie d’échec qu’une volonté de châtier les âmes égarées et de rendre justice au nom de l’humanité. Cela est clairement visible par l’attitude du procureur qui change du tout au tout, quand un de ses « supérieurs » lui demande de l’indulgence et de la mesure, envers les accusés allemands car les américains auront besoin de l’opinion allemande avec cette guerre froide qui commence à naitre et cette division de l’Europe en deux blocs antagonistes qui pointe le bout de son nez. Pragmatisme quand tu nous tiens.

Pour autant, film de procès n’est pas antinomique avec des scènes extérieures à la salle d’audience, et Stanley Kramer profite de cette tribune pour nous faire vivre les interrogations du juge en charge du procès, qui contrairement à ses collègues essaye d’évoquer les sombres années avec la population allemande, d’ élargir le cadre du procès et de comprendre la situation globale d’après-guerre ô combien compliquée. Conjoncture intéressante, où le pays entier semble marqué au fer rouge par les méfaits d’antan et aspire à oublier tout ce qui a pu avoir lieu. C’est une fin de non-recevoir qui attend l’interrogateur. On se sait rien, on a rien fait, on a rien vu.

C’est d’ailleurs le juge Haywood incarné par Spencer Tracy qui demeure le personnage le plus intéressant du film, quelque peu désabusé, mais investi à 100% dans sa tâche et faisant fi de toutes pressions en rapport avec sa vision des évènements. Pour le reste, rien de marquant, malgré des acteurs qui font leur job, entre un Richard Widmark incarnant un zélé procureur, un Burt Lancaster dans la peau du magistrat contrit chargé de remords et auteur d’un monologue rempli d’émotion ou encore un avocat qui défend avec énergie et habileté ses clients.

Et c’est là une autre des qualités de ce film que l’on peut évoquer. C’est l’aspect méticuleux, quasi documentaire de Jugement à Nuremberg. Le film, qui a beau s’étendre sur 3h, ne fait pas sa durée, et sait prendre son temps. Les différentes phases du procès s’étalent ainsi de manière méthodique devant nos yeux. Que cela soit la présentation des accusés, la mise en accusation, les charges du procureur, la réponse de l’avocat, l’interrogation des témoins dont on ne nous épargne par la dureté et où les appelés ne sont pas ménagés etc etc J’ai néanmoins été assez déçu que tous les protagonistes parlent anglais. Je ne pense pas que faire parler allemand les allemands aurait été beaucoup plus compliqué à faire, ce qui rend quelques séquences assez cocasses où chacun prend son casque pour la traduction alors qu’ils emploient tous la langue de Shakespeare. Mais bon, je reconnais, je pinaille un peu…
Bien entendu, cinématographiquement, il ne faut pas s’attendre à des prouesses de mises en scène, des plans séquences sortis de derrière les fagots, des travellings stratosphériques et autres procédés clinquants. Aspect documentaire oblige, ça reste très sobre, très propre, bien que Kramer s’autorise souvent une petite folie avec ses plans tournant autour de ses personnages.


Stanley Kramer, qui s’attaque à un sujet compliqué seulement une quinzaine d’années après les faits s’en tire admirablement bien et nous offre un procès d’une durée de 3h captivant à suivre.
Une vraie réussite.

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le 14 août 2014

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