Jules et Jim c’est l’adaptation du roman de Henri-Pierre Roché, un roman qui fut son premier et qui a été écrit alors que l’auteur avait plus de 70 ans, c’est un roman autobiographique. Le défi pour Truffaut, qui fera de ce livre dont il est tout de suite un grand amoureux son troisième long métrage, est de réaliser un film comme l’aurait fait un vieil homme alors que lui a moins de 30 ans. Il aura longtemps entretenu une correspondance avec Henri-Pierre Roché qui l’a beaucoup conseillé et a été une des grandes sources d’inspiration du réalisateur, mais celui-ci ne verra malheureusement jamais Jules et Jim, étant mort avant la fin du projet.
Il faut bien comprendre que ce film est un film littéraire, l’œuvre pourrait presque être décrite comme un roman filmé, c’est un hommage à la langue française. La voix off qui cite directement le texte original renforce cet aspect, celle-ci ne m’a aucunement dérangé et j’irais même plus loin j’ai apprécié sa présence. Henri-Pierre Roché voulait des dialogues « serrés et aérés », chose assez abstraite que Truffaut cherche à tout prix à reproduire.
Le récit s’articule autour du triangle amoureux entre Jules, Jim et Catherine. Jules autrichien et Jim français sont deux très grands amis qui sont le symbole d’une union franco-germanique, chacun appréciant la culture de l’autre. Ce sont tous les deux des artistes et des écrivains. Au milieu de ces deux hommes apparait Catherine, c’est une femme ravissante et gaie, un personnage libre et entreprenant, elle est la femme fantasmée de Truffaut, une image typique de la nouvelle vague, période où la Femme au cinéma comme dans la France en générale s’émancipe. Un des grands points forts du film est que les trois personnages nous touchent au même niveau, il n’y a pas de choix prédéfinis par le réalisateur de qui doit ne pas être aimé ou de qui doit attirer notre sympathie. Ce choix permet de rendre l’œuvre bien plus réaliste et intéressante.
Ces trois personnages vont être séparés par la guerre, Jules et Jim contraints de combattre dans des armées opposées et Catherine restée à l’arrière. Au moment où le film a été réalisé, la France est en pleine guerre d’Algérie, il y a également la course à l’armement qui a été entamé par la guerre froide. Il est donc important pour Truffaut d’en faire une rapide critique, il a recours à des images d’archives dont le caractère austère et dénué d’harmonie contraste fortement avec les belles scènes précédentes, tout devient brouillon, les explosions masquent la caméra, la guerre masque le cinéma, la guerre détruit la vie.
La première chose qui ravit le spectateur dans Jules et Jim, c’est la fraicheur de sa mise en scène, bien que cela ne soit pas forcément comparable, ça m’a rappelé Faces de Cassavetes, il y a cette même caméra qui évolue librement, ces longs dialogues qui ne paraissent jamais lourds, cette volonté de faire un « cinéma vérité ». Truffaut filme des tranches de vie, il s’intéresse aux réactions et aux sentiments de ses personnages. Les scènes n’ont pas forcément une grande importance en apparence, celle-ci est enfouie, elles permettent d’emporter le spectateur dans ce récit au sein duquel il parvient facilement à rentrer (celui-ci lui parait proche), ainsi le film possède un grand lyrisme dont l’écriture n’est pas la seule raison. Comme je l’ai dit plus tôt c’est également cette vitalité dans la mise en scène, les plans séquences où la caméra tourne autour des acteurs, les entoure et nous en rapproche, cette manière qu’a Truffaut de filmer les visages et les émotions qui en ressortent au plus près, il capte des grandes scènes d’intimité.
Mais surtout c’est un portrait de la femme comme la voit Truffaut, ce n’est pas un film libertin ni un film féministe (Truffaut s’en défend lui-même), c’est simplement une vision, une manière de percevoir les choses. Jeanne Moreau dans ce film est l’allégorie de la féminité et de la Femme, près d’elle les hommes deviennent des enfants. Elle est séductrice par nature, ce n’est pas un être de flirt mais un être d’amour, comme tout ce qui est pur elle a ses caprices et peut alors se révéler dangereuse.
L’amitié entre Jules et Jim qui auraient pu être brisée et bien sur la scène finale où comme le prédisait la chanson Jim et Catherine s’en vont « tous les deux enlacés ». Jim est conduit dans le dernier fantasme destructeur de cette dernière, laissant Jules seul, dernier vestige d’un amour terminé, c’est surement le personnage dont le rôle est le plus tragique. Cet acte aussi stupéfiant qu’inattendu est la dernière étincelle de Catherine, déçue et devenue lassée, elle cherche à s’envoler avant que sa flamme ne s’éteigne, elle veut disparaitre dans un dernier élan d’amour destructeur, emportant avec elle son amant, ensemble ils se précipitent en union vers la mort.
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De Jules et Jim, il faut retenir une vision ardente et libre de l’amour. La chanson « Le tourbillon » a été composé à l’origine par Serge Rezvani plusieurs années avant la sortie du film pour Jeanne Moreau et son compagnon de l’époque Jean-Louis Richard. Elle sera incluse dans le film pour sa ressemblance (qui est une grande coïncidence) avec l’histoire du roman. Ce passage constitue un des plus beaux du film, pour la beauté de la voix de Jeanne, la justesse et la sensibilité de son interprétation et bien entendu les paroles qui sont aussi simples qu’elles sont poétiques, tout en s’accordant parfaitement avec le récit raconté.
Puisque l’on parle de coïncidence, celles-ci sont très importantes dans l’œuvre, on peut penser à celle au café où si Jim était resté quelques minutes de plus, il se serait peut-être marié avec Catherine. On se rappelle également la rencontre de Jim et Jules plusieurs années plus tard à Paris. On a souvent l’impression que les choses arrivent par hasard ceci peut faire écho au personnage de Jeanne Moreau qui semble agir plus par instinct que par raison, elle prend la vie pour un jeu, un jeu plein d’aléas.
Comme souvent chez Truffaut, on s’intéresse à l’innocence et au naturel, c’est la pureté du sentiment amoureux qui est explorée à travers Catherine, le besoin de liberté également, cette femme qui veut réinventer l’amour et fuit l’ennui. Un ennui qui finit toujours irrémédiablement par la rattraper. Jules et Jim est un film vivant et joyeux comme il est parfois tragique, mais c’est avant tout un nouveau regard sur la Femme, un hymne à la vie et à l’amour sans retenue.
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