Dans le vivier malheureusement inépuisable des récits sur les violences sexuelles, les révélations sur le milieu sportif ont eu un impact fracassant ces dernières années, et arrivent nécessaire dans le champ de la fiction. On l’a vu récemment avec l’intense Slalom, et Julie se tait prend le relais dans le domaine du tennis. Mais sa grande réussite consiste à traiter sous un angle singulier ce sujet sensible, un peu à la manière dont l’avait fait Delphine Girard dans le très juste Quitter la nuit en 2024 : en s’attardant davantage sur l’après que sur le déroulé des faits.
Le film s’ouvre en effet sur la mise en retrait d’un entraîneur, et la distillation progressive et pudique du destin d’une autre joueuse que Julie. Les mots ne suffisent pas, les conversations sont feutrées, tout le monde fait attention avec cette jeune joueuse qui fut très proche de l’accusé, et qui se mure pour le moment dans le silence. La bienveillance généralisée, l’enquête mise en place par le club, la volonté de dialogue des parents établissent avec une grande justesse toutes les démarches contemporaines face à la prise de conscience du problème. Le film n’est pas un brûlot sur la loi du silence, mais l’accompagnement du silence volontaire d’une victime qui va devoir trouver sa propre voie pour pouvoir s’extraire d’une emprise.
À la manière d’une thérapie qui ferait de tout pathos un élément contre-productif et factice, le récit s’attache donc à sonder l’isolement et les voies de traverse possibles avant un retour vers le monde. L’admirable mise en scène de Leonardo Van Dijl, qui signe ici son premier long métrage (extension de son court Arbitrage, sorti en 2015) consiste à accompagner ce mutisme, en évitant toutes les lourdeurs de l’explicitation. Un téléphone posé sur la poitrine, sa vibration continue, un chien longuement caressé, un regard dans le vide suffisent à dresser le portait d’une adolescente déchirée entre sa souffrance, son emprise et l’appel insistant de ceux qui cherchent à l’aider. Le travail sur le cadre, particulièrement réfléchi, donne à voir avec une grande acuité l’isolement, en interdisant presque systématiquement le contre-champ : la prostration du point de vue favorise ainsi le déni (l’entraîneur en question n’est jamais vu, il se limitera à des textos une voix), mais aussi le caractère obsessionnel d’une jeune fille entièrement dirigée vers la réussite de son intégration dans un programme de prestige, jusqu’à une forme de déshumanisation. L’absence de contre champ dans un sport aussi duel que le tennis déréalise ainsi toute la dynamique de cette discipline, et révèle le combat d’une victime avec une béance impossible à vaincre sans la regarder dans les yeux. Le match d’une vie intime, en somme, dont la stratégie s’élaborera dans la durée, et sans cynisme aucun. En laissait la vie de la jeunesse autour d’elle l’éclabousser de ses restes d’insouciance, et en laissant la voix de l’adversaire formuler sa propre accusation pour une balle de match d’une dignité sans failles.