Filmer ce silencieux cheminement intérieur, c’est ce que tente de faire le réal. Leonardo Van Dijl dans son premier long métrage. Mais les états d’âme d’une jeune personne, le conflit intérieur qui naît peu à peu en elle et qui la tourmente, la lutte pour la maîtrise de ses émotions, la volonté de triompher de l’adversité (des évènements contraires), le mutisme vis-à-vis des autres jusqu’à ce qu’une décision soit prise, que des mots soient éventuellement, finalement formulés et prononcés, ça se filme comment ? Et est-ce que ça donne un film regardable et intéressant ? Eh bien, ça donne : Julie se tait.
Les élèves (15-18 ans) d’un collège-club de tennis (situé en Belgique flamande) s’étonnent de l’absence de leur entraîneur Jeremy. Julie, jeune espoir du tennis belge et possiblement la meilleure élève de ce club-école, a essayé sans succès de le joindre au téléphone. On apprend, quasi en même temps, qu’une autre brillante élève (ou supposée telle) du club, Aline, vient, à l'incompréhension générale, de se suicider. Elle et Julie étaient entraînées par Jeremy. C’est suite à ce suicide que l’entraîneur des deux jeunes filles a été suspendu par la directrice (Sophie) de l'établissement. C'est que l'ensemble de la direction, les élèves, les parents des élèves s’interrogent sur la responsabilité de l’entraîneur dans ce suicide. Y avait-il quelque chose entre lui et Aline ? Y a-t-il (eu) quelque chose entre lui et Julie ? Tous se tournent vers Julie, car ils la savaient très proche de lui, son élève préférée, "sa Julie". Si le comportement de l'entraîneur pour l'heure suspendu est répréhensible, tous les adultes entourant Julie semblent convaincus qu’elle est la mieux placée pour le savoir. La caméra est focus sur elle. Elle, elle ne dit rien, semble n'avoir rien à dire, rien de particulier en tout cas, sur sa relation avec son ex-coach. Désormais, elle partage ses journées entre : 1. son entraînement sur les courts avec Backie, le jeune coach que le club lui a donné en remplacement (car elle a un difficile et très important test de tennis à passer très prochainement) et 2. la poursuite de ses études secondaires dans ce même collège-club. Le soir, elle rentre chez ses parents, promène son teckel, lui chuchote des secrets à l’oreille, lui fait des bisous : c'est de la graine de championne, mais une adolescente. Une adolescente qui se tait, qui ne dit rien (pour l’instant ?) de sa relation avec l’entraîneur suspendu. On ne voit celui-ci qu’une fois, dans une scène capitale entre Julie et lui, une scène qui, en peu de mots prononcés, nous dit beaucoup. Vous en jugerez vous-même.
Julie se tait est un film d’atmosphère, qui montre à l'écran les états d’âme conflictuels de Julie autant qu’on peut montrer ce genre d'états d'âme, la progressive libération de l'emprise qu'avait son coach sur elle, le lent processus d’une prise de décision, la recherche intérieure des mots qui lui permettront peut-être de s’exprimer, de dire ce dont elle a pris peu à peu (ou soudainement) conscience, après le suicide de l’autre élève qui, elle aussi, était supposée avoir un avenir tennistique. Julie est de toutes les scènes. La caméra est toujours sur elle et Tessa Van denBroeck qui l’interprète joue à la fois sobrement et avec beaucoup de sensibilité, de vérité, de force (elle est très crédible dans le rôle de cette possible future championne des courts mondiaux). L'opus repose beaucoup sur elle, on croit à son personnage souvent mutique mais qui s’exprime avec les yeux, le visage, sa respiration quand son corps est au repos, et la force, la hargne, la violence de son jeu sur le court. C'est un plutôt beau film, assez bien photographié, en un beau noir et blanc, d'esprit minimaliste, arrière-arrière-petit-cousin de ceux de Robert Bresson. Ai-je trouvé les mots qui lui rendent justice ? Bien qu'un peu partagé sur une certaine thématique de son contenu terriblement "dans l'air du temps", je l'ai aimé et j'y ai pris plaisir.