Il y a toujours eu une certaine dangerosité à s’attaquer à des œuvres aussi cultes, fédératrices et populaires que Jumanji. Une œuvre semblable à de légères foulées dans un parc de carnassiers, la virtuosité en moins, mais à la sympathie comme joint. Une œuvre qui serait plutôt comparable à l’attachement que nous pouvons porté à un crochet Spielbergien, là où la rationalité et l’objectivité n’ont pas leur place, et où la bienveillance se balance dans des cuillères d’imaginaire. Une aura au caractère générationnel donc, qui continue, encore aujourd’hui, de bercer l’imaginaire de ces enfants devenus adultes, comme une invitation pour lancer continuellement les dès de la nostalgie sur un plateau de souvenirs.
Car revoir Jumanji, c’est inévitablement faire face à une tragique mélancolie nimbée d’un spleen quasi enfantin. Celui de savoir que la cause de notre intérêt ne sera plus jamais de la partie ; de ces zygomatiques sollicités en des larmes d’amitié, un génie a rejoint le paradis. Y-avait-il une quelconque nécessité de rouvrir la boîte ? A cette question pouvant s’appliquer à n’importe quel reboot/ remake contemporain de films à succès, une horde de fans s’empresserait de nous répondre un tas de commentaires aussi hostiles que cruels, et ce, sans la moindre objectivité. Et même si l’on peut remettre en question la légitimité d’un tel principe, il est d’autant plus illégitime de démolir un film avant même de l’avoir vu. D’autant plus lorsque le film en question décide de ne pas suivre les pas de l’original.
Puisque Jumanji : Bienvenue dans la Jungle n’est pas un film pour nostalgiques. La seule reprise du titre tient plus du coup marketing que d’une véritable envie de poursuivre l’original. Et là où tout repose sur une volonté d’affranchissement pour créer une œuvre indépendante, tout pourrait se résumer à cette séquence introductive, où tout se veut en constante adaptation. Un cinéma qui survit en s’adaptant à son époque comme un jeu de société devenu jeu vidéo. Si ce film existe, c’est avant tout à cause de son public. Une œuvre cristallisant les attentes conformistes d’une société en quête de divertissements, aussitôt consommés aussitôt oubliés : un film dont le seul but est d’aspirer son public à l’intérieur même de ses entrailles uniformisées, avant de le rejeter à peine le mot FIN arrivé. Et en cela, Jumanji : Bienvenue dans la Jungle n’est qu’un divertissement calibré, aussi lisse et fade qu’agréable et sans prise de tête.
Comme une volonté de moderniser un concept du passé, sans y insuffler la vigueur et l’originalité nécessaires pour dépasser l’inutilité du projet. Car, oui, le film se suit sans déplaisir. Tout comme une grande partie des divertissements contemporains. Et là réside sûrement sa principale faille : cette impression de consommer un spectacle réchauffé qui, une fois terminé, ne laisse aucune saveur en bouche. Seule ambition : capturer le divertissant en ne filmant rien d’autre que le factuel. Basique serait l’adjectif le plus à même de caractériser cette aventure « cinématique ». Jusque dans son squelette narratif, le film embrasse le jeu vidéo, et rend chaque avancée de l’intrigue d’une facilité quasi déconcertante : comme une quête de niveaux en niveaux où la dramaturgie se limiterait à l’éternel réussir ou mourir, sans émotions ni intensité. Le soi-disant « méchant » se cherche d’ailleurs encore une utilité au sein du récit.
Néanmoins, en inversant le schéma du Jumanji originel, d’un lancé de dès à un joystick immersif, tout ne serait que prétexte à un détournement des codes dans le but de cibler un public de jeunes assoiffés de gameplay. Il n’est donc plus question de faire de la réalité un endroit où le jeu s’invite, mais plutôt de montrer, d’une manière plus ou moins cynique et indirecte, l’influence de la virtualité comme réalité propre aux joueurs. Un monde où la dépendance pour l’artificiel et le superficiel est devenue totale au point que cette jeunesse s’en trouve aspirée dans le virtuel de leur propre vie.
Y voir au final une sorte de satire adolescente à la Breakfast Club, transposée dans une société où les apparences règnent : les jeunes de Jumanji 2 en sont cette représentation caricaturale, des parangons de leur époque, se cachant en définitive derrière des avatars virtuels, victimes eux-aussi de leur propre caricature. Le casting y est d’ailleurs pour beaucoup : des acteurs devenus des caricatures d’eux-mêmes, et qui le montrent d’une manière frontale et totalement consciente. Le cas Dwayne Johnson et Kevin Hart l’illustre parfaitement, poussant cette caricature bien souvent dans les retranchements de l’excès : rire des apparences d’un coup de sourcil ou de pectoraux, et d’un gringalet au jacassement agaçant ; pour au final ne retenir que l’absence de comique par la tentative de la surenchère.
La logique voudrait même que cet ensemble de clichés vire au grotesque pour permettre à des spectateurs plus confirmés d’y voir un aspect d’autodérision. Mais le produit est lui-même biaisé par ses défauts (notamment ce qui avait pu caractériser Baywatch) au point qu’il perd toute crédibilité dans son uniformisation. Et là encore, le récit déterre une nouvelle fois cette inépuisable morale de la prise de confiance en soi par les actions collectives et réciproques : de stratégies en pertes de vie, une sorte de jeu vidéo en mode multi-joueurs. Une morale, qui en plus d’être éculée, vient détruire toute véritable tentative de dénoncer cette obsession pour le virtuel, un peu comme l’avait fait avec un certain mépris Le Monde secret des Emojis. Cependant, le dernier plan sur la destruction de la console vient remettre un peu d’ordre dans ce monde de simulacres. Un monde qui aurait pu continuer à tourner sans cette œuvre en fin de compte.
De punchlines en légèreté comique, tous les échanges se font extrêmement relâchés et contribuent plus à un délire vidéo-ludique qu’à ce côté très artificiel et bancal de l’ensemble. Seul l’attachement à ses acteurs permet au récit de tenir sur la durée. A l’image de ce Jack Black en roue libre jouant sur les codes de son personnage féminin intérieur, ou encore de cette irrésistible Karen Gillian en Tomb Raider marginale. Tout n’y est pas forcément d’une grande subtilité mais ce Jumanji : Bienvenue dans la Jungle témoigne d’un sens de la récréation plutôt sympathique. De plus, il y aurait presque une volonté de piocher chez Indiana Jones mais sans jamais exploiter le filon. Et c’est bien dommage. Réflexion faite, il ne serait d’ailleurs pas extravagant de penser que The Rock est l’équivalent moderne d’un Harrison Ford : une drôle d’évolution que celui du cinéma populaire contemporain.
Jumanji : Bienvenue dans la Jungle se veut moins une sorte de suite/ remake qu’une véritable comédie d’aventure familiale. Et même s’il tente par moment de lier son intrigue à celle de l’original (à travers des références aussi sous-exploitées qu’inutiles), sa seule ambition est de suivre le divertissement comme ligne directrice, de façon à incarner un défouloir drôle et distractif, porté par des interprétations tout en décontraction et désinvolture. Une œuvre en tant que reflet d’une époque où le virtuel est devenu le seul moyen d’intéresser un public jeune : pour une potentielle suite, il faudrait alors s’attendre à retrouver Jumanji sur Android et App Store. Dans la limite des pokes disponibles…
Rock around the Jungle
Critique à lire également sur Le Blog Du Cinéma