C’est compliqué. C’est une grande impression de désordre à la sortie de salle, un capharnaüm un peu interminable, un assemblage sans osmose, quelque chose à l’image de sa nouvelle star écailleuse : Hybride et déformée.
Je reste sur ma position. Je râle. Je rouspète même. Le problème des Jurassic World c’est que ce sont des suites de Jurassic Park. On nous ressort l’attirail qui avait fait merveille sur les premiers films. On nous replace des pions dans une stratégie qui semblait bien huilée. Tout l’esthétique du film est enfermé dans ce qui s’est installé en 93. Le problème c’est que le film de 93 n’a pas seulement inscrit sa pérennité dans ses innovations techniques, il savait parler à son public sur une connaissance commune, une passion commune, celle des dinosaures. Jurassic World n’a jamais vraiment parlé de dinosaures.
On pourrait objecter que Jurassic Park évoquait déjà des hybrides, que ce n’était que des monstres de science et non des animaux réels. Seulement ne nous leurrons pas, personne ne va voir Jurassic Park pour voir des monstres, on va voir des dinosaures. On veut qu’ils soient ancrés dans la réalité, qu’ils aient la science de leur côté, on fantasme quand on lit l’article d’un paléontologue affirmant la crédibilité de telle ou telle scène.
Et Jurassic World (1 et 2) n’a plus rien de fidèle à la science. Il ne prend plus son public en compte non plus, il s’adresse aux mômes des années 90, ne se préoccupant pas vraiment des attentes des plus jeunes en matière de crédibilité. Jurassic World se trompe. Les gamins d’aujourd’hui adoreraient retrouver les plumes de leurs bouquins et l’émerveillement suscité par un film fidèle à leur imagerie pourrait peut-être assurer un peu de survie à l'entreprise, ne la destinant pas d’office à l’oubli jusqu’à sa prochaine suite. Je suis énervé.
On peut cerner l’un des problèmes majeurs dans ce tyrannosaure qu’on nous ramène depuis le précédent film. Aucune suite du Park ne l’avait fait, optant pour un déploiement diversifié de l’univers et de ses codes, (couple de T-Rex, raptors travaillant en meute) mais tous les World semblent pomper la prestance de la bête jusqu’à sa moelle. On comprend l’idée, l’animal a généré une émotion titanesque en 93 et a posé son empreinte dans un paquet d’enfances, alors on en fait une icône, on lui colle une personnalité, on le garde comme enseigne. De tyrannosaurus rex, l’archosaurien devient mascotte, planant sur l’île comme une entité intouchable et éternelle. La faune en est immédiatement amputée, concentrant toute l’attention carnivore sur cet être du passé et balayant tout espoir de voir un écosystème fonctionnel, incluant différents groupes de théropodes dans ce monde sans âge. C’est un problème de vouloir sans cesse ressusciter le premier film, ses animaux ne semblent plus avoir d’existence propre, ils sont attendus et font leurs apparitions pour le plaisir du public, comme sous les projecteurs d’un théâtre impatient et rassuré.
Et donc très peu d’espèces vraiment cités ou vraiment montrées, on se contente de ce qui fonctionne, le reste dégorge de partout, déboule en avalanche et se retrouve immédiatement expédié. Quand on convoque un sinoceratops, on lui fait l’honneur d’une présentation. De même pour l’allosaurus, a-t-on seulement idée de sous-exploiter un allosaurus de la sorte ? Allez on donne une scène au stigymoloch mais on l’appelle “stigy” et on s’en sert pour se taper une bonne marrade. Les herbivores apparaissent en masse et son aussitôt éjectés et les carnivores, plus rentables, s'éternisent à l'écran, pris dans d'improbables pulsions sanguinaires loin de toute logique mais à aucun moment tout ce beau monde n'essaie de constituer une faune crédible. Exploitez vos espèces bordel, puisez dans les ressources de ce qui existait vraiment, donnez du corps à votre film que diantre. L’allosaurus travaillait en meute, faites-en quelque chose ! Les raptors sont très intelligents ? Vous l’dites ! Alors montrez-le ! Les passereaux savent utiliser des outils, montrez les raptors dans une scène quotidienne, à la chasse, outil en patte ! Donnez leur une présence, une existence que diable. Non mais c’est fatiguant à la fin, les Jurassic Park arrivait à explorer la paléontologie pour trouver de la substance à raconter sans tomber dans du sentiment caricatural entre humains et reptiles. On s’en fiche des super-monstres, refaites des films de dinosaures !
Il n’existe rien de vraiment consistant dans ce film, rien de nouveau, rien d’amoureux. Personne ne donne une quelconque destinée au matériau de base, personne n’a la moindre intention d’utiliser les animaux préhistoriques pour raconter quelque chose. Tout n’est que déjà vu, balourdise et facilité. Il est compliqué d’être vraiment précis en parlant de ce film tant tout s’enchaîne sans harmonie, sans réelle unité. On est arrivé à une telle fadeur dans la création d’images, dans la mise en scène du mystère, qu’on ne connaît plus la moindre émotion face à l’écran, on finit par vivre un film en apparence apocalyptique, survitaminé et trépident comme la contemplation d’un jardin vide sous une pluie de novembre.
Et pourtant j’ai été pris. Et pourtant j’irai voir la suite. Ce film ne m’a pas autant énervé qu’un Kong Skull Island. On a encore des résidus de narration dans tout ça, un embryon de parti pris, les restes vagues d’une inspiration effilochée. Je jette sans regret la première partie, volcanique, furieuse mais surtout ignoblement bordélique et sans surprise mais je ne rechigne pas complètement devant les plans de conte de fée de la seconde partie, Bayonna utilisant plutôt bien son manoir pour nous faire un Croquemitaine du mésozoïque. A ce moment là, t’as bien compris le truc, tu t’es rappelé quel âge tu avais, tu t’es remémoré le film précédent, tu t’es souvenu que finalement, t’étais prévenu, tu acceptes sans broncher davantage ce Dracula à écailles, cette chimère customisée et ses griffes démesurées toutes en ombres portées et, après t’être aussi remémoré le prix de ta place de ciné, tu décides de profiter quand même un peu du machin.