Face à la question de plus en plus préoccupante du recyclage dans l’industrie hollywoodienne, une évidence se doit d’être assumée : oui, le spectateur prend plaisir à retrouver ce qui l’a fait vibrer la première fois, lorsqu’il s’agissait d’une découverte, et l’expansion des univers sous forme de franchise peut procurer la joie des retrouvailles. Reste à savoir ce qui pourra prolonger l’euphorie. Une question que ne semble pas s’être posée la production de cet énième opus de la franchise Jurassic Park, qui poursuit son essorage cynique, toujours en phase avec les méchants qu’elle fait paresseusement mine de fustiger dans ses récits, vilains capitalistes (désormais écocides) prêts à tout pour engranger les milliards.
L’histoire est vielle comme la civilisation : l’hyperbole est un moyen, et non une fin, et tout consiste à savoir raconter une histoire. Un paroxysme n’a de sens que s’il est introduit, un danger que si on lui a donné des enjeux, un effroi que si on a su le tisser à l’imaginaire prolifique de l’auditeur. En contre-point des festivités, la nécessité vitale du silence, de l’attente, de l’invisible. Autant d’éléments que le génie fondateur Steven Spielberg a intégré dans une syntaxe inimitable et redoutable d’efficacité.
Jurassic World nous promettait donc un monde d’après, sur un sursaut amusant de renouvellement à l’issue du précédent volet, où la totalité des dinosaures se voyaient libérés de par le monde. Cela semble justifier de ne plus rien avoir à raconter : après une séquence d’ouverture totalement bâclée (et aussi courte que ce que dévoilait la bande annonce), le sommet de la paresse est déjà atteint par une vidéo d’information en format YouTube nous expliquant les tenants et les aboutissants, et qu’on retrouvera bien entendu à la fin, histoire de boucler l’exposé. Tout est dit : ici, tout le monde s’en fout.
L’appréhension de l’espace est peut-être à la plus symptomatique de ce ratage décomplexé : les cinq premières minutes nous expliquent donc que la planète est envahie mais qu’on va retourner dans une enclave fermée dans les Dolomites, soit, on l’aura compris, UN PARC. On aura certes droit à certains détours avant d’y parvenir, et qui permettront aux créatifs de jouer comme Lucas le fit dans les rééditions de sa première trilogie Star Wars : en incrustant, PARTOUT, des dinosaures : dans un parc, sur une terrasse, à la mer, à la montagne, dans le ciel, sous la glace, avec des plumes, des crocs, des griffes, partout, tout le temps. Le résultat est évident : plus personne n’en a grand-chose à faire, car le pouvoir de fascination s’est instantanément évaporé.
Nos personnages appréhendent donc cette évidence tout en se forçant de temps à autre à jouer les citations embarrassantes (quelques Spielberg faces et autres gimmicks nostalgiques), mais ne sont pas plus surpris de la géographie extraordinaire de leurs aventures, où couloirs, goulots de mines, routes, forêts et sous-sols mènent systématiquement et par le plus grand des hasards sur la personne qu’on cherchait. À partir de là (en mode « je brandis la photo d’une gamine à l’autre bout du monde à la première inconnue que je croise aux chiottes, bingo »), seule l’irritation pourra ponctuer l’ennui qui jalonne ces poursuites incessantes où les proies devraient se faire bouffer à chaque seconde, mais qu’un montage dégueulasse parvient à sauver : qu’on projette dans les écoles de cinéma cette séquence de poursuite sur les toits entre un chépluquoisaure et la botoxée random, charcutée et sans aucun sens de l’espace, collage de segments qui ne donne aucune conscience des vitesses respectives et d’une quelconque continuité. Colin Trevorrow, en plus de son impatience, ne sait tout simplement pas filmer, et se contente de laisser courir sur son cadre une créature en CGI qui provoquera, croit-il, son effet 3D.
On passera sur les personnages, entre réunion de momies à qui on demande de recréer des plans qui n’avaient pas besoin d’une réactualisation, une ado aux problème identitaires de clone bien trempés, des raptors qu’on considère comme des labradors, une méchante échappée de Fast & Furious et une badass venue cocher les cases de la diversité, dont l’une des punchlines résume finalement parfaitement le propos : What’s the plan ? Whatever happens, that’s the plan.
Souhaitons donc l’extinction rapide de cette excroissance maligne, qui permettra néanmoins de mettre en lumière les réussites du blockbuster : en revenant aux origines du mythe pour se laver les yeux, ou en allant dans la salle d’à côté, qui projette une réactualisation du passé qui pour le coup s’offre le luxe de voler bien au-dessus de l’original.