Cela fait quasiment vingt ans qu'on nous fait le coup. De présenter un film de Clint Eastwood comme le dernier, ou encore comme une oeuvre testament.
Clint ne fait pas beaucoup d'efforts non plus, tant il a déjà porté à l'écran la mort des icônes et des archétypes qu'il incarne, comme dans Créance de Sang, Gran Torino, La Mule ou encore Cry Macho.
Mais en 2024, désormais, il vaut mieux se rendre à l'évidence. Clint a désormais quatre-vingt quatorze ans. Même s'il a continué de tourner au rythme d'un jeune homme.
Juré n°2 sera donc vraisemblablement bel et bien le dernier film de Clint.
Et si le thème de l'oeuvre pouvait laisser augurer un certain ronron dans un film de procès au scénario un poil capillotracté, on oubliait un peu qu'à chaque fois, Clint nourrit ses oeuvres de ses obsessions et de ses interrogations sur le mythe américain.
Clint s'était déjà penché sur la justice de son pays avec Le Cas Richard Jewell. Celle à qui on sacrifiait ses héros. Celle qui les emportait dans son tourbillon médiatique.
En 2024, elle est envisagée à l'image comme une femme aux yeux bandés. Tout comme la compagne du personnage principal, conduite dans la chambre rayonnante d'un futur bébé. Comme dans American Sniper. Image de la famille parfaite qui va peu à peu se fissurer via les failles de son juré, moins premier de la classe qu'on ne peut le supposer tout d'abord. Nicholas Hoult lui prête ses traits inquiets qui vont à merveille à ce personnage ambivalent, véritable homme de l'intérieur qui, après avoir participé à son propre procès vécu par procuration, se mue en un homme en colère.
Un homme qui évolue cependant comme un équilibriste entre son désir d'idéalisme et sa volonté parfois égoïste de sauver sa peau et sa famille en devenir. Soit une situation impossible que décrit Clint, comme le regard qu'il porte sur une justice, dernier mythe américain, d'une fragilité ahurissante, étouffée dans une salle de délibération remplie de petits intérêts personnels.
Une justice aveugle, mais aussi aux pieds d'argile, tant celle-ci dépend aussi des convictions et des idées reçues de chacun, de sa propre conception de la justice, de l'investissement parfois relatif d'enquêteurs, ou encore d'élections, de résultats, de politique et d'ambitions professionnelles.
Ce juré ambivalent, sous l'oeil de Clint, est pour la dernière fois la représentation de l'Amérique toute entière. Celle dont il a arpenté les territoires du far west. Celle dont il a sondé l'âme et la dualité de ses (anti)héros.
Un dernier portrait désabusé, que l'on taxera d'académisme, comme souvent dans le procès de la carrière de Clint, pour mieux en minorer les mérites ou le propos. Non, une plongée dans la zone grise des compromis cultivée par chacun d'entre nous, qui habite Juré n°2 d'une ambiguïté déstabilisante. Rappelant que Clint, malgré les polémiques stériles dont il faisait l'objet, était avant tout un humaniste.
Behind_the_Mask, qui n'est rien devant le dernier des géants.