Fin de parcours pour la légende Clint Eastwood qui à 94 ans prend enfin sa retraite (Macron serait fier de lui) en sortant son dernier long métrage sobrement intitulé Juré n°2. Mise en scène sobre, mais fond politique très intéressant, on est sur une fin de parcours très solide pour conclure la carrière légendaire d'un pilier du cinéma américain aussi bien devant (Gran Torino, Le bon la brute et le truand, ou Impitoyable) que derrière (Mystic River, American Sniper) la caméra, avec pour principale thématique la figure de l'anti héros.
Bon je ne vais pas m'étaler des lustres sur la longue et riche filmographie d'Eastwood que j'admire particulièrement (même si c'est un énorme conservateur républicain), mais je tenais quand même à souligner sa capacité permanente à se renouveler dans ses choix de mise en scène ou sa manière de traiter ses sujets malgré quelques égarements (La Mule) en tenant compte des évolutions techniques et politiques de l'époque. Je ne connais à titre personnel pas d'équivalents dans le cinéma américain et même le cinéma tout court (à part Godard peut-être qui peut se targuer d'avoir très très radicalement évolué au fur et à mesure de sa filmographie) à avoir eu une carrière aussi longue et aussi riche et diversifiée.
Bref, pour en revenir à notre sujet de base, Juré n°2 est donc un film filmant le procès d'un homme qu'on accuse d'homicide envers sa compagne lors d'un soir de pluie le long d'une route de campagne dont j'ai déjà oublié le nom. Ce procès comporte des magistrats, ainsi qu'un certain nombre de jurés censés rendre un verdict (coupable ou non-coupable) à l'unanimité. Sauf que parmi eux, se trouve un juré Justin Kemp qui finit par se rendre compte assez vite lors de la présentation des faits que l'accusé est innocent car les faits dont on l'accuse n'ont pas pu être commis par lui vu que c'est ce juré qui est lui-même responsable de la mort de la compagne de l'accusé par accident.
Ce que je viens de raconter ici ne peut être vraiment considéré comme un spoil à proprement parler puisqu'on le sait dès les quinze premières minutes du film. Et c'est justement à ce moment là que ce dernier devient intéressant puisque le film ne va pas (comme ça pourrait être attendu s'il était convenu) porter sur la résolution de l'enquête vu qu'on sait déjà que l'accusé est innocent, mais bien sur le dilemme moral qui opposera le juré n°2 entre se livrer pour éviter de faire condamner un innocent ou garder le silence afin de protéger sa famille.
De fait, à partir de cette situation de départ, le film devient très intéressant, pas tant dans sa mise en scène puisqu'elle reste assez sobre et assez classique, mais plutôt dans son écriture puisqu'il ira explorer toutes les raisons qui peuvent pousser cet individu à se dénoncer (respecter l'idéal de la justice en faisant parler la vérité, préserver un innocent d'une peine qu'on suppose à l'avance extrêmement sévère au regard des chefs d'accusation) ou au contraire à se taire (ça aurait pu être un cerf après tout, sauver sa vie de famille en évitant de subir soi-même une peine également très sévère). Je n'en dit pas plus concernant la voie adoptée (ni l'une ni l'autre en vérité), mais on ressent une vraie empathie envers le personnage de Justin Kemp qui est pris au piège et qui s'enferme dans un mensonge pour tenter de concilier les deux voies qui n'est pas voué à tenir bien longtemps.
Au delà de ce dilemme qui oppose le juré, on a également un vrai discours sur ce qu'est la justice, sur ses imperfections, voir sur ses dysfonctionnements mais sans que cela soit montré de façon caricaturale, notamment à travers les interactions entre les différents jurés et magistrats. Ce qui m'a le plus parlé à ce sujet est ce moment où les jurés doivent trancher pour rendre le verdict et où les discussions s'éternisent car ils n'arrivent pas vraiment à se mettre d'accord et que certains demandent à expédier la décision car ils ont d'autre chose à faire (ce qui me rappelle l'un des personnages de "Douze hommes en colère" qui souhaite se débarrasser le plus rapidement possible du procès pour pouvoir aller assister à un match de football) et ne souhaitent pas s'éterniser sur les doutes qu'ils peuvent avoir car ils ne pourront jamais accéder à la vérité pleine et enviable. Où est la justice là dedans finalement ? C'est une question que l'on se pose lorsqu'on assiste à cette situation un peu absurde et pourtant, c'est traitée de manière vraiment fine et intelligente car au fond ces personnes ont de bonnes raisons de vouloir en finir avec ce procès (obligations liées au travail ou à la famille).
Je mettrais quelques bémols cependant concernant certains passages bien "américains" dans la mise en scène, notamment l'une des scènes de fin (discours un peu bateau sur l'idéal de la justice meublée avec une musique un peu larmoyante censée nous émouvoir mais qui m'ennuie plus qu'autre chose). Heureusement, ces passages sont rares et ne sont pas trop caricaturaux non plus (OUF). Autre petit bémol également, puisqu'on a également une histoire d'enjeux électoraux qui dépendent de l'issue du procès et qui est traitée de façon un peu expéditive j'ai trouvée puisqu'à aucun moment elle ne prend une réelle importance. C'est dommage puisque le film aurait pu apporter une autre dimension et renforcer son propos sur la manière dont la justice est exercée aux Etats-Unis.
Mais ouais encore une fois c'est un film bien écrit qui n'en fait pas des caisses et dont j'apprécie le dénouement final à la fois beau et tragique même s'il reste un peu flou. Mention spéciale aux acteurs qui sont tous très convaincants avec un jeu sobre et réaliste ce qui dénote habituellement des autres films américains auquel on peut avoir le droit.
Adieu grand maître !