Vers l’apaisement
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le 10 déc. 2024
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Depuis La Beauté du geste (2023), il ne fait plus mystère que Shô Miyake est l'un des jeunes cinéastes japonais les plus prometteurs, devenu un habitué des festivals internationaux, à commencer par celui de Berlin. Jusqu’à l’aube, qui fut un immense succès au Japon (plus de 500 000 spectateurs, phénomène rare pour un film d’auteur), marque une nouvelle étape dans son cinéma : la simplicité sophistiquée de sa réalisation (plans fixes, précision des jeux d’espace et d’ombres, atmosphère aérienne, direction pudique des acteurs) se tourne résolument vers la lumière (allusion même au titre) tout comme ses personnages, qui déploient des mondes intérieurs subtils et profonds entrant d’abord en collision pour finalement mieux fusionner dans une sorte d’interaction gravitationnelle, sans contact physique ni charnel. Un récit stellaire et platonique sur la fragilité des êtres, qui parviennent à endurer les épreuves en rentrant en résonance. Plus qu’à faire société, Shô Miyake nous apprend à faire « constellation ».
Fraîchement diplômée, Misa donne le meilleur d’elle-même, se montrant fiable et attentionnée envers les autres. Des efforts chaque mois balayés par les symptômes extrêmes de son syndrome prémenstruel qui la rendent soudainement irascible... Sa situation s'aggrave au point qu'elle décide de remettre sa démission à la grande entreprise de Tokyo qui l’avait embauchée, où la pression est telle qu’il n’y a pas de place pour les aléas personnels. Les sautes d’humeur imprévisibles de Misa sont par ailleurs dérangeantes compte tenu du système sociétal japonais, particulièrement corseté, qui ne tolère pas les écarts de conduite. Elle finira par dénicher un emploi dans une petite entreprise de fabrication de matériel scientifique pour enfants, en banlieue. Un cadre de travail plus serein et adapté, avec des collègues compréhensifs et respectueux de son état, au point que Misa est parvenue à trouver un certain équilibre de vie. Ce n’est pas le cas de Takatoshi, qui a atterri là contre son gré. Le jeune homme souffre d'un trouble panique qui l’a amené à quitter l’effervescence de la grande capitale pour cette même banlieue paisible. Ce déménagement est pour lui synonyme de régression. L’incarnation des rêves – notamment de carrière – qu’il a dû laisser derrière lui. Particulièrement exigeant envers lui-même et ses pairs, sa rencontre avec Misa va l’amener à lâcher prise. De prime abord incompatibles, ils se retrouvent liés par un défi commun – laisser tomber le masque derrière la maladie. Leur amitié s’étoffe peu à peu, chacun s’intégrant respectueusement à l’espace de l’autre, s’aidant mutuellement les mauvais jours. En renouant avec une certaine légèreté de vivre, Misa et Takatoshi s’ouvrent progressivement à leurs collègues, qui se dévoilent à leur tour par petites touches successives et tendres. Ils avanceront ensemble vers la création d’un planétarium qui leur donnera accès à une nouvelle façon de voir le monde. Dans le vaste cosmos, tout devient question d’osmose et de transmission.
Pied de nez aux comédies romantiques, jamais mielleux ni caricatural, Jusqu’à l’aube est une grande histoire d’humanité. La performance délicate des acteurs et la mise en scène aérienne de Shô Miyake contribuent à faire du film une exploration touchante des défis du quotidien et de la force des liens qui nous unissent. Les va-et-vient de la caméra sur les collines du quartier d'Oota restituent à merveille les ondulations de l’existence, dont les vagues nous laissent parfois à la surface, parfois en creux. La pellicule granuleuse et richement texturée du 16mm magnifie la palette automnale du directeur de la photographie, Yuta Tsukinaga : l’univers semble infini à travers sa lumière, autant que nos perspectives en la présence d’autrui. Un film contemplatif et poétique sur ce que pourrait être notre monde s’il était rempli de compassion plutôt que de colère et de haine.
Créée
le 6 déc. 2024
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