Pas de bon divorce sans un bon avortement !

Cette fiction au style presque pseudo-documentaire est ambiguë par principe et par intérêt pour les deux partis, mais elle est trop arrangeante (envers le public et la 'morale' exigée dans une situation où pèse la violence conjugale) pour développer tout le potentiel de son sujet. Elle penche systématiquement soit d'un côté, soit contre l'autre. Dès l'entrevue face à la juge en ouverture, la défense de l'avocate (outrée et envoyant du « Je pèse mes mots ») suggère de plier l'affaire. En le présentant comme un bon citoyen, bon ami et en plus bon camarade de chasse, elle en aligne trop pour ne pas nous l'indiquer comme un coupable, planqué sous sa couverture d'homme ordinaire (et un peu médiocre, notamment en tant que mari).


Ce que déroule le film, c'est la pression mis par ce sombre bourru. Il se concentre sur le père, ne montre la mère que sous ses assauts. C'est effectivement le salaud de l'affaire, mais à quel point, pourquoi et comment ? Les réponses sont livrées à vif (sans flashback ni séquences résumées, chaque scène s'ouvre pour un lourd et long moment), certaines sont psychologiques, celles relatives aux passés des protagonistes resteront globalement absentes. Les torts pourraient être partagés, à ce stade peu importe ; nous voyons la fin de cette histoire, avec l'extinction des barrières avant soit une séparation plus profonde encore, soit un drame définitif (ou un miracle – mais ça n'est pas de ce monde). Il prétend avoir changé (comme toutes les sortes de filous et de criminels, mais aussi comme les leaders incompris et bienveillants tels Sarkozy), on ne sait trop par rapport à quoi (on suggère qu'il la frappait, le confirme passivement par la suite). La perspective de la violence et la conscience que rien ne doit la justifier pèsent donc sur le film et ses considérations. Jusqu'à la garde ressemble à un essai comme Kidnappés, qui se fixait sur un cambriolage, donc un cas simple [à résumer], fermé, en nous laissant constater (avec ce que certains ressentiront comme du voyeurisme) les modalités d'une telle source de stress ; il est plus ambitieux, mais fait semblant de nous embarquer, de poser des questions, alors qu'il laisse le présent affirmer, le reste être éludé, les jugements et projections s'inhiber ou se désintégrer par eux-mêmes, puisqu'on ne sait rien, sauf le mal qui est là.


Le spectateur est mis dans une position similaire à celle de la juge (infecte mais la fonction l'exige) et ne peut, comme elle, s'en tenir qu'aux apparences et faits rapportés. Comme Je ne suis pas un homme facile avec la condition de la femme, Jusqu'à la garde souhaite manifestement faire sentir une détresse (et une fatigue). Comme lui, il range l'objectif aux côtés du fautif, au moment où la réalité se retourne (ou les meutes se liguent) contre sa légitimité. J'aurais aimé voir les moments où le dialogue était encore possible – pour vérifier s'il n'a pas été confisqué, tout en présumant qu'il aurait été de faible qualité. Car Antoine (Denis Ménochet) a l'air d'un incurable. Au mieux c'est le taiseux amer, inapte à communiquer et envisager la réalité de l'autre, au pire c'est un monstre doublé d'un idiot, ne pleurant et réfléchissant que sur son sort, à partir de ressorts émoussés sinon limités dès le départ (alors, pourquoi Miriam s'est-elle initialement jetée dans la gueule du loup – surtout de celui-là, au déguisement si fragile et laid ?). Il est effectivement 'malade' – mais ces maladies-là ne sont pas gravées dans le marbre, elles s'encouragent aussi. Le ressentiment et la peur pourraient causer une 'inflation'. Une bonne marge nous est laissé grâce aux béances du personnage de Miriam (Léa Drucker). Elle est plus dure qu'en première apparence (dépassée voire confuse pendant l'introduction), difficile à cerner car la feinte, la fuite et la répression sont ses seules manières de s'afficher. Elle oppose à son ancien amant une fermeture mesquine, typique de l'attitude du faible passant pour hautain devant la bête anxieuse qui, par cette seule défense, est réduite à néant – sauf pour ce qu'elle a de brutal et d'unilatéral : tout ce qu'on lui laisse, c'est sa force réprouvée. Ses parents et sa progéniture ne lui permettent également plus d'exercer la moindre emprise, ou s'y refusent désespérément. La situation pour lui est aussi tragique que celle d'un narcissique au corps ratatiné, ou d'une serpillière humaine aimante qui se trouverait jetée (ce dont il diffère malgré son espèce de hantise du rejet, vu sa froideur et ses marques de rupture avec l'environnement).


Le mari et père est donc condamné en dernière instance pour ses actes, mais le film reste 'dans l'expectative' face au reste, c'est-à-dire la responsabilité indirecte de chacun dans cette dégringolade. Le simple accompagnement des allées-et-venues de ce 'mauvais' individu fait office de pédagogie. Le monstre 'factuel' est tout au plus méprisé à l'occasion pour ses aspects rustauds. Le réalisme du film est limité sur le plan juridique, moins à propos des relations et surtout des ressentis. Jusqu'à la garde est précis ou convaincant pour montrer comment des gens se braquent, la façon dont une brute et un homme piégé perdent leur (peu de ?) raison. Il est pertinent aussi pour traduire le ressenti face au danger physique (en voiture ou lors du quart-d'heure de terreur), avec la somme d'imaginations qui ont pu s'accumuler lorsque la menace est connue – sur ce plan le cinéphile plus 'formaliste' [indifférent aux résonances sociales, politiques, 'idéalistes'] et l'amateur de sensations trouvent aussi leur intérêt. Faux doutes, faux mystères (ou futiles) – mais vrai suspense (va-t-il craquer, quand et comment, que vont donner ou trahir d'eux-mêmes les membres de son entourage ? Une information cruciale va-t-elle surgir – pour ça la réponse est catégoriquement non). Des longueurs démonstratives gratuites gênent la progression, sans la gâcher – elles peuvent toujours se défendre, mais les deux passages où la fille (Joséphine) est mise en avant ne servent qu'à renforcer une impression de 'réel' déjà ancrée. À moins que ces scènes péri-scolaires inutiles, ce tunnel scabreux du test de grossesse, ou la longue séquence globalement superflue à l'anniversaire (avec musiques infectes avant le passage derrière le micro) aient pour but de faire respirer la narration et le spectateur – mais c'est peu rentable avec un rythme si lent. Sinon, il y a la vieille de la pub Cetelem à la fin du film (Jenny Bellay, aussi vue dans Le supermarché pour Free) – deux mots de plus et elle ruinait la tension accumulée (une déclinaison de Paulette ou une Tatie Danielle houellebéquienne l'honoreraient davantage).


https://zogarok.wordpress.com/2018/07/07/jusqua-la-garde/

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le 6 juil. 2018

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