Un auteur propose son regard : par la force du symbole, par l’appréhension des espaces et la destinée d’un personnage, il exorcise son rapport au monde : ce qu’il en espère, ce qu’il admire, ou son évolution, souvent décadente et inquiétante.
Dans la carrière d’un artiste, la question de la SF se pose presque forcément : c’est l’occasion, en imaginant le futur ou en s’octroyant l’opportunité de l’impossible, d’extrapoler sur ses obsessions. C’est ce qu’on fait Kubrick ou Tarkovski, et c’est là le rêve de Wenders, qui voit en ce projet son grand œuvre mégalomane. Un film de cinq heures (coupé à 3 h pour son exploitation en salles), un an et demi de tournage jusqu’à épuisement des ressources, un trip qui brasse toutes ses grandes thématiques et qui montre aussi la confiance croissante d’un cinéaste en ses capacités ou la légitimité de son message.
Le futur vieillit vite : la vision, une dizaine d’années auparavant, que Wenders offre de 1999 est un mélange étrange, qui mêle la nostalgie cinéphile et l’anticipation fauchée. Les références au film noir, constantes, et la tonalité un peu légère de cette course poursuite à travers le mode empêchent de prendre au sérieux ce guide touristique qui aligne avec automatisme les villes, sans qu’on comprenne vraiment l’utilité autre que l’exhaustivité. On sait par ailleurs que les producteurs refusèrent à Wenders d’aller tourner au Congo et en Amérique du Sud, ce qui frustra son désir de voir tous les continents représentés à l’écran…
La nonchalance peut être un remède à l’équilibre d’une si vaste entreprise ; elle empêche surtout ici qu’on s’implique réellement dans cette odyssée. Les allées et venues s’accumulent, et la menace d’une apocalypse ressemble surtout à un ressort permettant l’émergence d’une deuxième partie plus sédentaire. Mais rien ne fonctionne vraiment dans ce patchwork démodé et presque ringard, où les personnages semblent rarement croire à leur fonction : le visionnaire, le détective, le romancier, la muse sont les ingrédients d’une future communauté du bout du monde où l’ocre de la terre et l’azur du ciel occasionnent certes de belles images, mais où la vie, le folklore et les échanges sont diablement redondants.
Reste le cœur du sujet, la réflexion proposée sur l’image et son alliance au genre de la science-fiction. Wenders, qui s’était jusqu’alors contenté des mises en abyme sur le cinéma lui-même, tente la prospective et imagine une civilisation qui s’abreuve d’images jusqu’à l’addiction et l’aliénation. Force est de reconnaitre que près de trente ans plus tard, la prophétie est clairvoyante. Cette question de la virtualité de l’image et des émotions qu’elles peuvent contenir est évidemment passionnante, mais finit là aussi par desservir l’œuvre elle-même, qui pêche par manque de subtilité et peine à émouvoir. Reste un vaste continent à la dérive qui semble avoir un peu brisé son créateur lui-même, ses incursions suivantes dans la fiction s’étant révélées depuis la plupart du temps à bout de souffle.