De part son ampleur, sa longueur, son casting, sa durée et ses lieux de tournage, Jusqu'au Bout Du Monde ne peut être qu'un film phénomène.
Un événement.
En 5 heures pures et originales, Wim Wenders a le temps d'établir plusieurs films.
Son film en est plusieurs pour résumer.


Dans sa première partie (début - 2h), le film se cherche, les personnages aussi.
L'intrigue se dévoile, se développe petit à petit. On est un peu perdu, mais c'est vraiment plaisant.
Bizarre, insaisissable, mouvementée, rythmée par une B.O. pop d'enfer, très eighties, Wenders brouille les pistes pour faire de cette drôle de chasse à l'homme un tour du monde troublant mais touchant.
On a du mal à se le dire, mais comme le film dure 5 heures, si les personnages sont peu définis au début c'est normal. Le début dure ici 2h. C'est tout.
Question de proportions.
Wenders crée ici un univers d'anticipation, un monde d'images foutraques, colorées, peuplées d'énergumènes aux costumes délirants, aux chemises hawaïennes et aux lunettes rondes. Entre parodie de Staline en ours espion et monde de sonorités perchées, la première partie est un voyage autour du monde aussi stimulant que parfois absurdes (certaines séquences, il faut se l'avouer, comme celle de l’hôtel à Tokyo sont assez ridicules, la faute parfois à une musique dans cette scène très mauvaise), et que souvent sublimes (les séquences dans l'auberge traditionnelle japonaise d'une beauté pure, où les personnages se retrouvent et se découvrent enfin.).


La seconde partie (2h - 4h), plus posée, raisonnable, moins foutraque, peut être plus sage est celle de l'Australie.
Le ton est nettement moins léger, se focalisant plus sur les relations qu'entretient Sam avec sa famille et sa communauté aborigène.
Si reviennent des traits d'humour, des gimmicks quasi habituels (en 5h on peut commencer à parler d'habitude, je vous l'assure), le sujet touché est plus grave. Wim Wenders revient ici à quelque chose de bien plus simple et touchant, un retour aux sources, autant pour les personnages, isolés dans cette communauté aborigène d'un monde soudainement déconnecté et en proie à l'autodestruction, que pour un réalisateur qui se concentre, non sur un univers assurément barré, mais bien sur des émotions sincères, humaines et profondes, grâce notamment au couple de parents, subtilement interprétés par Jeanne Moreau et Max Von Sydow.
De plus l'histoire dérive lentement vers des tenants plus sérieux et sombres ; au delà de l'idée de communauté survivante, c'est surtout l'idée d'une expérience aux conséquences mystérieuses qui intéresse Wenders.
Le drame se fait donc intimiste, posé, recentré.
A la manière des humains soudain privés de l'électricité et du numérique, le film se fait plus dépouillé, moins mouvementé, la musique se fait plus humaine (les personnages la créent eux-mêmes)...
C'est peut être la partie la plus réussie du film, la plus belle car la plus simple.
Car éclate ici la force du cinéma de Wenders, celle de la simplicité. Mais on y reviendra.


La troisième et ultime partie (4h - 5h) , la plus courte, est volontairement plus sombre, moins facile, plus exigeante que les deux précédentes. Le sujet se fait ici plus grave, l'idylle que semblaient avoir créée les 4h précédentes se détériore et la réalité nous revient au galop en pleine face.
C'est l'effet boomerang, pour continuer dans le thème australien.
Plus exigeante car Wenders offre ici un message (alors que les premières heures en semblaient totalement dépourvues, d'une sublime gratuité), à mon sens peu percutant.
Critiquer les images et leur rôle néfaste par le biais d'un film... pas très convaincant, surtout quand celui-ci délivre un merveilleux travail d'image, très expérimental et parfaitement envoûtant (les séquences de rêve qui, si elles avaient été mises en commun auraient délivré un trip visuel halluciné).
A mon sens le film a donc un peu de mal à se clore et tourne autour de sa fin pendant de longues minutes, seules un peu lassantes (sur un film de 5h c'est tout de même impressionnant de n'en avoir qu'à la fin !).
Néanmoins Wenders réserve pour autant une fin si simple et évidente qu'elle en est touchante et clôt ainsi correctement cette oeuvre.


Mais s'il est une chose qui m'a dérouté tout au long du film, mais qui au final prouve encore, en y réfléchissant, la marque du travail d'un génie, c'est le fait que Wenders fasse de son histoire de fond un simple détail qu'il n'exploite jamais. Je m'explique.
Jusqu'au bout du monde se présente comme une histoire d'amour sur fond de fin du monde.
Mais cela, Wenders n'en fait qu'un prétexte.
Sa fin du monde il la préfère joyeuse, posée, comme un atterrissage doux au cœur du bush australien.
Sa fin du monde elle est un éclair lors d'un baiser fugace. Elle est la fin de la communication pour mieux la retrouver. Elle est la mort des circuits électriques pour mieux les reconstituer.
C'est donc un peu déroutant, mais en même temps subtil.
Tout n'est que prétexte à cette histoire multiple éclatée, déconstruite mais si véritable et profonde.


De plus le film s'annonce lui-même comme un véritable road trip.
Je ne suis pas forcément d'accord avec cette idée.
Car si ses deux premières heures sont dynamiques et se bousculent aux quatre coins du globe, elles ne sont que préambules aux 3 heures qui suivent, plus riches en sens et émotions. Néanmoins on voyage pas mal, de Paris à Tokyo, en passant par Moscou et le bush Australien, le tout avec une B.O. pop et planante, géniale et parfaitement adaptée.


Mais là où éclate le génie réel de Wenders c'est dans sa capacité réelle à produire, au delà de tout exercice de style référencé dans lequel il a parfois l'habitude de se perdre un peu, un cinéma simple, aux personnages toujours magistralement interprétés par des acteurs si originaux qu'on ne les voit plus alors que dans ce genre de rôles, et aux histoires si humaines.
En 5 heures, qui jamais ne paraissent longues, le cinéaste prend le temps de pleinement traiter son sujet, de gérer son intrigue et ses personnages, leur réservant à chacun un partie de son oeuvre, n'hésitant pas ainsi à en faire disparaître certains quelques temps.


Si le film dans son entier est au final pas aussi brillant qu'escompté, manquant parfois de cohérence, étant un peu parfois déséquilibré, Jusqu'au Bout Du Monde reste tout de même une oeuvre puissante par sa beauté simple, importante et magique qu'il est nécessaire de voir dans sa longue version.
Car ses 5h, si brandies comme je le fais, peuvent paraître repoussantes, elles ne le sont pourtant pas et permettent en soi la perfection de ce film.
Le film est parfait tel qu'il est. On se demande même comment il a pu être possible de ne le diffuser que dans un format de moins de 3 heures tant l'oeuvre ne peut être appréciée qu'étirée ainsi dans son entièreté.

Créée

le 6 déc. 2015

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Charles Dubois

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