Je ne connais pas foncièrement le cinéma de Xavier Dolan, de toutes ses œuvres je n'ai vu que Mommy. Ce dernier m'avait bouleversé par sa justesse et son histoire universelle. Le réalisateur québecois reviens cette année avec Juste la fin du monde, long-métrage abordant le thème non moins universelle de la famille. Pour cela il adapte une pièce de Jean-Luc Lagarce dont je ne connaissais pas l'existence. Après avoir vu ce film, je pense aller jeter un œil au matériau originel pour comparer mais aussi pour replonger dans cette famille aux névroses profondes.
Cette famille est composée de la mère (Nathalie Baye, excentrique et touchante), ses deux fils Antoine (Vincent Cassel dans l'un de ses plus beaux rôles) et Louis (Gaspard Ulliel, magnétique et juste) et sa fille Suzanne (Léa Seydoux, lourde et à laquelle je ne trouve pas de réel talent). S'ajoute à eux la femme d'Antoine, Catherine (Marion Cotillard, éreintante à essayer de bégayer). Tout ce beau monde se retrouve pour un repas en famille où Louis est de retour après plusieurs années d'absence pour annoncer sa mort. On découvre alors une famille rongée par les non-dits, les regrets et les incompréhensions. Et c'est là que Juste la fin du monde est juste, dans cette peinture d'une famille totalement perdu et hésitante. Ce repas va prendre une tournure cathartique pour chacun des membres de la famille en discutant tour à tour avec Louis, l'objet de convoitise. Pour Suzanne, il est celui qui n'a de compte à rendre à personne, qui a réussi à s'échapper de la morosité en vivant de ses talents loin de sa famille. Pour Antoine, il est celui qui a réussi sa vie et qu'il jalouse. Pour la mère, Louis est l'homme de la famille en raison de l'absence du père. Mais en réalité, personne ne sait qui est réellement Louis et lui-même ne le sait pas.
Louis, comme le reste de la famille, est perdu. Chacun cherche sa place dans cette cellule familiale qui les enferme dans des rôles dont ils souhaiteraient s'émanciper. Alors ils lâchent, un par un, leurs sentiments et mentent pour aller mieux, pour paraître mieux. Et le temps passe, et le temps s'enfuit ... Ils étouffent tous sous l'idée d'une famille comme point de repère, genèse de la vie, alors qu'en réalité elle les empêchent de vivre pleinement.
C'est une triste réalité que dépeint ici Dolan, pouvant aller à l'encontre de son énergique cinéma - de ce que j'en ai vu avec Mommy. C'est avec recul qu'il ausculte la famille et en dégage le poids qu'elle a sur tous. Pour cela, il est grandement aidé par les dialogues (écris comme on parle) qui donne vie à une banalité réaliste de la vie. Pourtant, on retrouve au détour de certaines scènes la folie de Dolan mais toujours au service de son propos. La famille est une plaque tournante de la vie, l'endroit où il faut revenir pour savoir où l'on va, où il faut partir pour continuer à vivre.
L'étouffement que ressent cette famille nous touche également par la photographie aux couleurs chaudes et surtout à la mise en scène tout en gros plan. Les cadrages sont établis au millimètre près et chaque plan est sublime dans ses contrastes, ses focales et ses immobilités. La réalisation est éreintante et suffocante comme la canicule qui pèse sur Louis et le reste de sa famille. Elle a également pour but de lire les détails des expressions, des ressentis, des douleurs, des mensonges, des non-dits, des vérités tracés sur les visages des personnages. A ce titre, Gaspard Ulliel est impressionnant de justesse par son regard perdu, sa mélancolie et son sourire voulant dire que tout va bien. Il s'attarde sur les détails et ne va jamais à l'essentiel afin de ne pas froisser et laisse dans l'expectative le reste de sa famille. S'ajoute à la prestation d'Ulliel, celle de Vincent Cassel, bouleversant dans les dernières scènes et qui, partant d'un certain stéréotype, construit un être rongé par les regrets, l'incompréhension et l'envie d'être reconnu à sa juste valeur. Reste le casting féminin et c'est là que sa pèche, autant Nathalie Baye est excellente en mère voulant recoller les morceaux d'une famille qu'elle voit éclatée, autant Marion Cotillard et Léa Seydoux sont énervantes avec leurs mimiques. On distingue clairement qu'elles jouent, la sauce ne prend pas et fait trébucher le long-métrage de Dolan.
Hormis deux personnages, la dernière réalisation de Xavier Dolan est profonde et juste dans sa description d'une certaine notion de la famille. Peut-être que beaucoup ne s'y retrouveront pas mais personnellement, à plusieurs moments, je me suis retrouvé dans cette famille quelque peu perdu. Elle cherche à aller mieux mais n'y parvient pas sauf que le temps, lui, s'en va, s'envole, et un jour s'arrêtera.