Avant de lire cette critique, il faut savoir que je suis admiratif du travail de Xavier Dolan depuis ses premiers films et j'attendais Juste la fin du monde avec une grande impatience car je connais le texte de Jean-Luc Lagarce (presque) sur le bout des doigts, l'ayant joué tout récemment dans le rôle d'Antoine (celui de Vincent Cassel dans le film). Peut-être que ce qui va suivre relèvera davantage de mon interprétation personnelle que celle de Dolan car je crois qu'il a laissé volontairement de nombreux points sans réponses pour laisser libre cours à chacun d'y voir ce qu'il veut y voir. Mon excitation de voir le film était énorme bien que les extraits en ligne m'avaient rendu perplexe car on n'y entend pas du tout la langue ni ne ressent le poids des mots de Lagarce... Choix méthodologique je suppose car j'ai été bien surpris à ce niveau là. Il faut notamment avoir en tête que le texte original n'apporte aucune information sur les lieux où se déroulent chaque scène, les interactions, la manière de parler le texte et je trouve que l'imagination et l'intelligence fine du jeune réalisateur ont permis de rendre ce texte purement théâtral, accessible et d'une fluidité étonnante, parfait pour un dispositif cinématographique. Le défi de l'adaptation est relevé haut la main (il nous l'avait déjà prouvé avec Tom à la ferme qui est aussi tiré d'une pièce de théâtre...) car on retrouve l'ordre exacte des scènes de la pièce ainsi que la langue de Lagarce, avec ses hésitations, ses reformulations, ses intrusions, ses longs monologues,... Cette fidélité à la pièce de théâtre est également gérée avec brio par ce groupe d'acteurs talentueux, au sommet de leur capacité d'interprétation. On entend beaucoup parler de Marion Cotillard et c'est vrai, bien que le personnage semble avoir moins d'importance en terme de présence, il y a une véritable empathie qui se dégage de son regard, voilée derrière un manque d'assurance dans la prise de parole. C'est magnifique, on est décontenancé à la vue de cette femme d'une profonde bonté qui s'empiètre dans le sens même des mots au risque de mal se faire comprendre. D'où cette intense connexion qui se créé avec le personnage de Louis (Gaspard Ulliel) qu'elle rencontre pour la toute première fois. C'est la seule, après toute ses années d'absence à pouvoir le voir tel qu'il est, sans attentes ni souvenirs lointain de lui, sans vouloir lui ressasser ce qu'elle a lui dire. Car Lagarce c'est aussi ça et Dolan s'en est très bien servi ; le silence et l'écoute que l'on porte à quelqu'un qui parle, plus ou moins longtemps, cet espoir d'entendre quelque chose de l'autre qu'on sait qu'il ne dira jamais, des regrets (pour Suzanne), des excuses (pour Antoine), des explications (pour la mère). Catherine, c'est la pièce rapportée, elle n'est pas de la famille, c'est dans sa distance, son écoute et son instinct qu'elle perçoit la réelle raison du retour du fils prodige. Elle perce la tension familiale de son aura particulier. Parenthèse Cotillard close. Xavier Dolan a adaptée, retranscrit avec ses propres sensations une histoire de famille, de retrouvailles. Des rires, des pleurs, des peines, tous les éléments qui promettent un film riche, intense, car on pense encore aux mouchoirs usagés suite à Mommy. On retrouve sa pâte, son atmosphère à lui avec une playlist que seul lui peut remettre au goût du jour (le tube de O-Zone passe crème), de l'excentricité (la super Nathalie Baye), des scènes d'amour, de l'émotion qui découle d'un rien (encore une fois, ce tube d'O-Zone en est touchant, faisant clin d’œil au tube de Céline Dion de Mommy) et il réussit, par son intelligence scénaristique, à combler les scènes de la pièce par des dialogues à lui tirés de ses rêveries autour de la pièce, ciment qui permet d'éviter la rigidité et la froideur d'une adaptation pure et dure. Il nous emporte dans ses rêveries, et dans son amour fou pour ses personnages. C'est fort, c'est puissant, c'est ultra-sensorielle, ça transpire, ça se touche, se tâte, se regarde de loin, se menace, s'enlace, s'embrasse... Les acteurs ont tout un bagage, un background ultra-chargé et ça se sent, ils sont habités ! Gaspard Ulliel, rôle quasi-muet, est d'une justesse déstabilisante dans son écoute et avec ses mots qui pendent à ses lèvres constamment. Ses nombreux monologues de la pièce sont habilement transformés par le biais de flash-back, voix-off et coup de fil. Nathalie Baye, dans le rôle de la mère, qui est celle que je craignais le plus par son accoutrement, se révèle être d'une force incroyable, très touchante ! Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences. Léa Seydoux colle bien au rôle implique moins d'investissement émotionnel donc on la considère un peu moins même si son personnage, d'une excentricité similaire à la mère avec ses tatouages, est très dessiné. Tout ça pour arriver au rôle de Vincent Cassel dans le rôle du frère. Et c'est là que je vais détonner avec la majorité des critiques car son jeu ne m'a pas touché. Je suis certainement pas objectif car je l'ai joué ce personnage, je connais le texte par coeur, je me suis aussi raconté beaucoup de choses à son sujet et en voyant le film, j'ai prêté un regard tout à fait particulier à Antoine et j'ai eu énormément de mal à m'y retrouver, à m'identifier à sa colère. Car oui, comme dit le texte de Lagarce, c'est un homme en colère, mais pas que ! Et là, j'ai l'impression d'avoir vu un personnage monochrome, qui est sans cesse sur une couleur. C'est vrai que Vincent Cassel a coutume de jouer les grandes gueules et c'est peut-être ça qui m'a déstabilisé. J'ai vu Vincent Cassel faire du Vincent Cassel dans tout sa splendeur.J'étais très déçu. Au début, je peux comprendre qu'il traduise sa gêne ou son incompréhension face à l'excitation effervescente de tout le monde face à l'arrivée de Louis en râlant, allant toujours dans le sens opposé. Mais j'attendais tellement cette scène finale que j'en ai été déçu. Certes, il y a de l'émotion mais pas celle que j'attendais. C'est un personnage qui a accumulé les rancœurs envers son frère pendant des années d'absence. Il l'a invité au mariage avec Catherine, à la naissance des enfants, mais il n'est jamais venu, il n'a fait qu'envoyer des cartes postales. C'est Antoine qui a supporté l'absence de Louis, sa mère et sa sœur se confient à lui à ce sujet, il porte un poids très lourd. Il habite près de la maison de sa mère tandis que Louis est parti à la capitale vivre sa vie, celle d'un artiste. Antoine a assumé un rôle qu'il n'a pas voulu, qu'il a du supporté pour le bien de sa mère et de sa soeur, en partie du à l'absence du fils prodige. Et ce retour comme une fleur, après douze ans d'absence, c'est la cerise sur le gâteau car tout le monde adule Louis, en oubliant Antoine qui croit être le seul à voir cette réalité là. Donc oui il est en colère contre Louis, certes, mais il a beaucoup de chose à lui dire, il lui a aussi manqué pendant tout ce temps. Ma perception est biaisé par ce que j'ai pu traversé sur le plateau en tant que comédien et aussi par ce que je pense de Vincent Cassel, je le sais. Mais il y a quelque chose qui ne m'est pas parvenu. Comme si c'était le seul à ne pas se plier à la règle de l'oubli de soi, brillamment assimilé par ses partenaires. J'étais également un peu déçu de la scène de la voiture, qui est selon moi une scène où la parole déborde, s'émancipe d'elle même sans savoir où elle va pour réussir à lui dire au final qu'il a peur de lui. Là, c'est une déflagration d'insultes qui vient ponctuer tout son texte, perturbant totalement le pourquoi il dit ça, cette scène perd tout son sens. Mais malgré ça, ce film m'a énormément plu, s'émancipant clairement de la vague émotionnelle de Mommy, ayant sa propre empreinte marquée par des plans serrés, soulignant l'étouffement. Le huis-clos dessine les non-dits, les rend palpable à l’œil nu. Et ce final, imaginaire ou non, on ne sait pas, nous fait sourire et nous bouleverse à la fois. La métaphore est d'une limpidité évidente avec l'histoire tandis que l'esthétique poétique de cet envol nous prouve bel et bien que Dolan sait nous atteindre, visant directement nos émotions les plus intimes.

alsacienparisien
9

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le 29 sept. 2016

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