Justice League est le genre de film qui a besoin qu’on connaisse son contexte de production ainsi que sa place au sein d’un univers pour être compris et jugé à sa juste valeur. Un spectateur mal informé serait susceptible de se méprendre quant à la qualité et à l’identité même du métrage. Encore une fois, je ne prétends pas vous livrer la vérité dans cette critique (ce serait bien présomptueux), mais je donnerais du moins mon avis en prenant en compte les événements qui entourent cette œuvre, car je pense que la considérer indépendamment des influences et de son univers serait une erreur.
Un contexte décisif
Si le générique et la promotion du film s’accordent pour dire que Justice League est réalisé par Zack Snyder, le film retentit comme un hurlement clamant le contraire. C’est tout, absolument tout sauf un film de Snyder, il suffit de le comparer à BvS pour s’en rendre compte. Mais ça mérite des explications.
En mai 2017, suite à un immense drame personnel, Zack Snyder quitte la production. Il est brisé et incapable de reprendre le travail commencé. Warner (ou Snyder lui-même ?) fait alors appel à Joss Whedon pour le remplacer, commettant à la fois la plus grande erreur du DCEU, celle qui place le deuxième pied de la franchise dans la tombe.
Zack Snyder est un cinéaste qui a sa propre identité, son propre univers : par conséquent, lui succéder sur le travail d’un même film est l’une des tâches les plus délicates qu’on puisse accomplir. Les studios auraient dû être conscients que ce choix allait être le plus difficile depuis le début du DCEU. Mais Warner, volontairement ou pas, négligera des facteurs essentiels dans cette décision. Deux façons de limiter les dégâts : choisir un réalisateur dont la vision s’accorderait plus ou moins avec celle de Snyder, ou sélectionner un cinéaste sans identité, incapable de modifier le travail fait précédemment. Au lieu de quoi, on optera pour Joss Whedon, réalisateur d’Avengers 1 et 2, ou l’opposé total de Snyder, tant dans le fond que dans la forme. C’est une faute qu’on impute aux studios ou à Snyder selon les versions, mais le résultat reste le même.
Whedon n’est pas fautif. Il est face à une tâche qu’il est incapable d’accomplir, il doit terminer un film qui va à contrario de ce qu’il a fait jusqu’à présent. Il ne connait que le ton léger des films Marvel, et face à la vision de Snyder, il est sans doute désemparé et se contente d’accoler l’esprit du MCU à ce Justice League, qui devient subitement un échec inévitable.
Justice League ou le fléau de la banalité
Justice League, en lui-même, n’est pas un mauvais film. Certaines scènes d’action sont franchement réussies, et même si le combat final pèche un peu du côté du visuel, le tout reste correct et efficace. Aucun personnage n’est laissé de côté (ce qui ne veut pas dire qu’ils sont toujours utilisés pertinemment), fait plutôt agréable car il prouve que le scénario est bien géré par au moins un aspect. Finalement, en elle-même, la trame est simple, elle remplit le contrat sans surprendre par son intelligence. L’humour, globalement plutôt raté, parait surtout inapproprié et ne colle pas au reste, à l’instar de certains personnages comme Flash et Aquaman. Certains plans également, paraissent décalés. Les acteurs, sans crever l’écran, sont à l’image de leurs personnages : classiques dans leur jeu, dans la peau de protagonistes pratiquement jamais iconisés dont l’écriture, sans être particulièrement pertinente, reste convenable. Le film souffre par contre d’une bande-originale inexistante : à l’heure où la musique devient un outil essentiel dans les blockbusters, une utilisation si déplorable de la bande-son (qui, en elle-même, n’est pourtant pas si mauvaise) peut pénaliser le métrage. Malgré une identité visuelle quelque peu aléatoire par moment, le métrage reste regardable et représente un divertissement sans complexité, mais qui fonctionne.
À présent, je vous invite à relever tous les termes mis en valeur dans le paragraphe précédent : nous avons donc « correct, efficace, agréable, simple, classique, convenable, regardable, divertissement […] qui fonctionne ». C’est ainsi qu’on définit Justice League, ou plus simplement et en un seul mot : banal.
Pour un film du DCEU, la banalité est le pire des défauts, celui qui fait que les fans refuseront d’accepter ce métrage, le repousseront comme s’il était atteint de la peste et l’abandonneront devant la porte d’un autre studio : le MCU (ou Disney).
Je pense qu’une petite mise au point s’impose. Pourquoi les films du DCEU, bien plus que les films du MCU, n’ont-ils pas le droit à la banalité ? Tout réside dans ce que le studio prétend offrir, et dans ce qu’il a déjà offert auparavant. Marvel l’assume, ses films sont des divertissements sans grand fond, des bons moments éphémères pour la plupart, qui ne sont destinés ni à marquer les mémoires ni à faire réfléchir. Alors le manque d'originalité, le conformisme et l'absence de risques pris deviennent acceptables (jusqu’à un certain point, coucou Homecoming), ce qui ne veut pas dire que toutes les œuvres du MCU se ressemblent en tous points et n’innovent jamais. Je suis personnellement une adepte de ces films qui fournissent un divertissement certes facile, mais non moins efficace et plaisant. C’est ainsi que je vois les choses, et en aucun cas le divertissement n’est un sous-genre du cinéma. Aucun cas.
La différence donc, entre le MCU et le DCEU ? Je refuse qu’on continue à comparer ce que font ces deux studios car, même s’ils s’attellent tous deux au genre super-héroïque, ils le conçoivent chacun à leur façon et les films qui en ressortent, au-delà d’être différents, sont aux antipodes les uns des autres. Le DCEU, surtout à travers Batman Vs Superman de Zack Snyder, promet des films intelligents, sans humour ni volonté de divertir, et avec pour but de questionner l’humain à travers des personnages fictifs et iconiques. Après ce qu’avait érigé BvS dans le DCEU, ce Justice League sonne terriblement faux, terriblement inutile et impertinent.
Alors que Wonder Woman se contentait de lorgner du manque d’originalité et du conformisme, et ressemblait d’assez loin à un film du MCU, Justice League y plonge la tête la première, de telle sorte qu’on croirait ce nouveau métrage produit par le studio aux grandes oreilles tant les codes de Marvel sont présents et même dominants. Bien plus qu’un échantillon, c’est toute une partie de Justice League dont l’esprit est celui du MCU, distillé dans un métrage réalisé de prime abord par Snyder. Sa vision s’oppose à celle de Whedon de façon assez spectaculaire, et ce Justice League aura au moins le mérite de prouver à quel point les deux franchises se contredisent dans leur vision du genre super-héroïque.
Dissonance des genres
Justice League n’est pas un film. Justice League, ce sont deux films complètement différents qu’on a tenté de raccorder ensemble en une seule œuvre. D’un côté, des films légers au sein desquels l’humour est important, peu importe sa forme. De l’autre, des films lourds de sens, qu’on ne peut considérer comme des divertissements tant le ton adopté s’apparente à celui du drame. On saisit deux réalisateurs habitués à chacun de ces univers, et on les fait travailler ensemble. Le résultat, mêlant humour et moments graves avec maladresse, laissant ressortir une écriture mitigée des personnages, donne l’impression de balancer entre deux genres sans trop savoir lequel choisir. Un si grand potentiel auquel on a ôté toute ambition : c'est le synonyme d'une frustration intense, tant pour les spectateurs que pour Zack Snyder sans doute. Justice League est mal accordé, mal dosé, mal approprié, et profondément dissonant comme la rencontre des deux univers incompatibles qu’il réunit en son sein.