Les songes cauchemardesques de Batman, au même titre que les dernières paroles de Lex Luthor, annonçaient une terrible menace au sortir de Dawn of the Justice : une funeste prophétie agrémentée du trépas de Superman, guigne suprême s’il en est, mais il nous restait à découvrir à quelle sauce serait mangée une League tout juste balbutiante (si ce n’est inexistante). Le présent film a néanmoins pour particularité de mêler deux perturbations en une : Steppenwolf en tant qu’antagoniste central, et… LA véritable catastrophe qu’est le bousin dans son ensemble, le projet paraissant avoir été tué dans l’œuf.
Surprise ? Pas vraiment. Pour l’anecdote, mon frangin me faisait état de sa « neutralité » vis-à-vis de ce film qui, après la séance et des mois de ruminations hagardes, le laissait toujours aussi « indifférent » : un sentiment peu enviable car, à certains égards, pire encore que la haine en bonne et due forme, Justice League n’inspirant littéralement rien. Et je le comprends parfaitement dans la mesure où, au risque d’exagérer, ce long-métrage ne devrait pas exister tant il tient du non-sens le plus total.
Quand bien même l’on tiendrait compte du malheureux retrait d’un Zack Snyder endeuillé, difficile de trouver des excuses à cet objet hybride, passé à la moulinette d’un cahier des charges invraisemblable : il est en effet évident qu’en plus de débarquer sur nos écrans avec plusieurs gares de retard, cette volonté patente de concurrencer et rattraper le MCU aura sacrifié toute ébauche de construction sensée. Si l’on pouvait déjà s’interroger quant à la pertinence d’un Batman V Superman précoce, Justice League va donc encore plus loin dans l’absurde, son contenu dramatiquement condensé comme incohérent s’avérant édifiant.
Le court l’aura donc emporté dans les grandes largeurs sur le long-terme, donnant naissance à un triste long-métrage : et comme si cela ne suffisait pas, celui-ci semble abandonner en partie l’héritage épique comme sombre de « Snyder » au profit d’une légèreté de ton très « marvellisée »… nous pourrions réduire ce trait à l’influence de Whedon, mais la réalité est certainement plus complexe encore. M’enfin, il en résulte donc une intrigue mutante et déconcertante, car faussement profonde à mesure qu’un calque comique ne transforme le tout en un récit des plus conventionnels.
S’il fallait retenir une chose et rien qu’une au sein de ce bordel ambulant, il s’agirait toutefois de Flash : non pas que le personnage soit franchement original, mais ce fin trublion de Barry Allen est bel est bien l’un des rares rayons soleils ici-bas... un état de fait non pas imputable à son écriture mais à Ezra Miller in fine, celui-ci surnageant sans peine au gré d’un jeu tout en subtilité et prestance. Et que dire que cette phrase paraît surréaliste dans le contexte de Justice League !
Car, pour le reste, tout part littéralement en vrille : en tête de file, Bruce Wayne se fait parangon de vertu au point de décrédibiliser toute ébauche de stature, quand bien même le film tenterait de nous prendre à contre-pied lorsque celui-ci taillera dans le lard de la conscience de Diana (qui n’en demandait pas tant). Une pique acide proprement grossière, mal dosée et j’en passe et des meilleurs tandis que l’on nous dépeint, sans risque, une figure lasse et dépassée par les événements : un bien piètre Batman en somme, à l’image d’un Ben Affleck peu concerné.
Ses comparses ne sont guère mieux lotis, bien que la royale Amazone poursuive son petit bonhomme de chemin bon gré, mal gré ; Cyborg semble pour sa part se réduire à un vulgaire bric-à-brac de ressorts tous plus faciles les uns que les autres, Justice League se raccrochant à corps perdu à ses ficelles technologiques pour faire avance le schmilblick... tout le contraire en somme d’un Aquaman s’étant, vraisemblablement, trompé de casting tant l’apport du gus se voit réduit à ses seuls muscles (en-dehors d’une séquence téléphonée à outrance comme forcée). Bref, on ne s’étonne guère de la propension monolithique qu’invoque le personnage de Steppenwolf, celui-ci ne cristallisant que trop bien l’empreinte inexpressive d’une intrigue à l’agonie... ce n’est pas ce tragique « Darkseid » murmuré à la va-vite qui nous fera dire le contraire.
Enfin, rendons justice au faits d’armes notables d’une signature formelle tout aussi hagarde : primo, bon sang, on croirait tenir là un vulgaire ersatz du cinéma de Snyder, la mise en scène oscillant entre une effarante platitude et de vulgaires soubresauts (l’introduction de Wonder Woman est des plus parlantes). Un état de fait corrélé au ton impersonnel de la musique de Danny Elfman, achevant de la sorte à conférer ne serait-ce qu’une once de dantesque à une atmosphère se cherchant tout du long. Le spectateur la cherchera également, en vain.
C’est donc ainsi, au terme d’une super-résolution simplissime et d’une paire de scènes post-génériques superflues (naturellement), que Justice League s’achève finalement, et nos espoirs avec : deux petites heures (ce qui n’illustre que trop bien l’improbabilité du tout) de divertissement au mieux passable, au pire pathétique dans tous ses compartiments... le pire étant que l’on jurerait avoir assisté à un désastre bel et bien « conscient » de lui-même. Fichtre.