Maurice Tourneur, ou l'art de ne jamais s'engager pleinement dans le genre annoncé.
C'est le cas de "Accusez, levez-vous" film d'enquête et de procès qui est aussi une description amoureuse du monde du spectacle.
C'est le cas d'"au nom de la loi", polar sur la vie parisienne et le monde de la police.
C'est le cas des "gaités de l'escadron" comique troupier qui se révèle être un formidable film d'acteurs à la conclusion humaniste.
C'est aussi le cas d'"Obsession", extraordinaire moyen-métrage, faux thriller sur la folie et la peur, qui bifurque vers un final inattendu et à contre-emploi.
C'est évidemment encore le cas de ce Justin de Marseille somptueux, qui se révèle être tellement plus qu'un -beau et réussi- film de gangsters.
Avant tout, c'est formellement splendide.
Un noir et blanc classieux alternant extérieurs léchés (prouvant tout l'amour de Tourneur pour la ville) et plans nocturnes brillamment éclairés. La réalisation alterne scènes familiales, de repas ou vues du port, moments sereins et apaisés, avec des fulgurances que renieraient peu de réalisateurs contemporains.
Autour de la confrontation entre Justin, gangster au grand cœur local et son rival napolitain sur fond de trafic d'opiacés commandité par des factions chinoises, on croise une multitude de personnages qui rendent ce film formidable: des vendeurs à la criée du vieux ports, des restaurateurs de la corniche qui jouent leur propre rôle (oui oui, "trompette"), des femmes de ménages d'hôtels borgnes peu avares en conseils et en aide, ou des paumées prêtes à se jeter dans les bras du premier maquereau venu, n'ayant vu "de cette ville ensoleillée que la part d'ombre"…
Plus amusant encore, la peinture de Marseille sonne étonnamment moderne aux oreilles et aux yeux contemporains. De ce chauffeur local qui reproche au journaliste parisien de n'être venu que pour y trouver Chicago tout en expliquant qu'étant un port, la ville est forcément une terre de mélange (rappelons qu'alors les immigrés sont italiens, espagnols ou asiatiques) jusqu'au problèmes de délinquance endémique, il est presque (je dis bien presque) rassurant de voir que les problèmes, les contrastes et les splendeurs de la ville semblent éternels. En tout cas l'esprit est là et, en tant que régional de l'étape, j'ai pu gouter toute l'authenticité du portrait, pour un endroit portant si facilement à la caricature (oui, on le cherche aussi, OK).
Ainsi, je n'ai pu qu'éclater de rire lorsque l'employée de l'hôtel demande à l'amoureuse éplorée d'où elle vient. Lorsque cette dernière répond Avignon, la première de s'exclamer "oh mon dieu, mais c'est un pays ou il pleut tout le temps, ça !" (je rappelle au plus nordistes d'entre vous que les deux villes ne sont distantes que de 80 kilomètres…)
Alors bien sûr, cet aspect protéiforme peut dérouter ou déplaire. J'y ai vu au contraire une richesse inouïe, procurant au film une profondeur rare, alternant les moments de comédie pure au film d'action le plus moderne, aussi frappant dans le forme que dans le fond, et rendant justice d'une manière tout à fait unique à un endroit fait lui même des plus singuliers contrastes.