Le résumé ne donne aucune idée de ce qu’est vraiment Kairo, et les reproches qu’on peut lui faire ne donneront aucune idée de ce qu’on lui reproche au fond. C’est une œuvre antipathique qui plonge directement au cœur de notre peur ultime, sans passer par les conventions qui rassurent, le récit qui divertit, le formalisme qui séduit. La mort ? Non, pire : la prescience d’être déjà mort.
Les personnages, qui ne sont personne, ne se touchent pas non plus, comme s'ils n'avaient ni libido ni corps. Ils échangent des répliques purement phatiques, destinées à s’assurer de la présence de l’autre. Ou ils disent des choses essentielles, et l’essentiel passe inaperçu.
Ils jouent à cache-cache avec les absents et les fantômes. Parfois ils les attrapent, et cela ne change rien. Ils créent des interdits et les craignent, sous forme de ruban adhésif rouge. Parfois ils les arrachent ou les franchissent, et cela ne change rien. Ils veulent être éternels, puis ils fuient, ou plutôt ils errent à travers des déserts urbains comme des âmes en peine, et bien sûr cela ne change rien.
Tout le long du film, dans des cadres éclatés et fragmentés, professionnels, publics, privés ou universitaires, mais qui ramènent toujours au black mirror de l’ordinateur qui symbolise leur solitude, inexorablement, ils se dissolvent et se désintègrent jusqu’au point où, d’une façon ou d’une autre, ils sont acculés à leur condition spectrale. Alors, ils se suicident, disparaissent ou s'évaporent (ici, ce sont des équivalences).
Déconstruit et n'ayant pour tout vrai fil conducteur que l'isolement et l'effacement, ce film où il n'y a que des fantômes et des vivants qui sont des fantômes n'est peut-être pas le plus accessible de Kurosawa, ni son plus beau, ni même peut-être son plus réussi, mais c’est sûrement son plus intransigeant.
Un film d’horreur qui ne triche pas avec l’horreur, qui réduit au minimum la part de plaisir qu’on demande toujours à ce type de spectacle. C’est rare. Mais c’est surtout horrible.
Libre à vous de penser que seuls les Japonais sont concernés.