Premier long métrage du cinéaste turc chouchou de la critique, et première partie d'une trilogie : Kasaba - Nuages de mai - Uzak. On retrouve à chaque fois l'acteur qui figure sur l'affiche, Mehmet Emin Toprak, Saffet dans le film (décédé peu de temps après Uzak). A chaque fois, il veut quitter le village pour "monter à la ville", Istanbul, ce qu'il fera dans Uzak, avec quelle désillusion. La première scène de Uzak peut d'ailleurs être vue comme la suite de celle où Saffet rêve qu'il quitte le village, sur une route tortueuse, son sac sur l'épaule. On voit aussi apparaître furtivement Muzaffer Ozdemir, en idiot du village : double du cinéaste, il aura les rôles principaux dans les deux suivants.

Ceylan a tourné avec une équipe réduite, 3 personnes, en employant sa famille et des comédiens non professionnels. Tout le son a été refait en studio car la prise du son direct était trop compliquée techniquement.

Le film, s'il manque d'unité et de cohérence, révèle déjà un grand cinéaste, surtout dans la première partie, que je placerais sous le signe de Tarkovsky, l'une des ses influences souvent citée dans les films suivants. Dans cette première partie, très peu de dialogues. Ceylan cherche à faire sentir une atmosphère, au travers de plans souvent magnifiques. La scène dans la classe est un moment de grâce : l'enfant qui souffle sur la plume devant les yeux des autres élèves hypnotisés, le maître qui renifle les goûters des enfants, la petite qui lit intensément sa leçon d'instruction civique alors que tous ont l'esprit ailleurs, le retardataire hilare et hirsute qui fait sécher ses chaussettes sur le poêle, les plans sur les gouttes qui tombent des chaussettes et sur les pieds nus du retardataire, le chat à la fenêtre qui fait tourner la tête des enfants... Le NBC qu'on aime : celui qui sait rendre captivante une scène totalement ordinaire.

La scène avec les deux enfants dans la forêt continue à épater : la tortue en gros plan (qu'on retrouvera dans Nuages de mai), mise ensuite cruellement sur le dos, le vent qui se lève dans les feuillages et dans les hautes herbes, le gamin qui saute le mur. Et puis des scènes consacrées à Saffet, avec ces plans en contreplongée et la fête foraine derrière, pour faire sentir son besoin d'évasion... Tout cela est contemplatif, façon Tarkovsky, et vraiment de haut vol.

Lorsque les deux enfants rejoignent leurs parents autour d'un feu de camp, débute une autre partie, que j'appellerais "Bergmanienne", beaucoup moins convaincante à mon sens. Moult films de Ceylan comportent des scènes de discussion très longues, parfois réussies, souvent ennuyeuses, en tout cas pour moi. Ici, j'ai eu bien du mal à m'intéresser à l'histoire d'Alexandre Le Grand ou à la vie de plus en plus chère en Turquie. Ces discussions mènent aussi à un grand lavage de linge sale en famille, comme dans un film de Bergman donc, dont on sait qu'il est une influence majeure du cinéaste turc. Malgré l'image toujours soignée (reflets du feu sur les visages dans la nuit), j'ai eu quelque peine à maintenir mon attention durant cette longue partie.

Et puis, sur la fin, retour au style du début, pour mon plus grand bonheur.

Une oeuvre de jeunesse, prometteuse, qui porte en elle déjà les qualités (sens de l'image, capacité à mettre en oeuvre des scènes fortes) et les faiblesses (discours bavards, longueurs) de NBC.

Ah, pour finir, une phrase, prononcée par le fils autour du feu, m'a fait franchement sourire : "pour vivre vieux, il faut manger sainement, comme aux Etats-Unis !". Grand, non ?

Jduvi
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le 23 août 2023

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Jduvi

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