La période hollandaise de Verhoeven est quand même un moment particulier de l'histoire de la cinéphilie, et Katie Tippel s'y insère parfaitement après Turkish Délices et dans une filiation très naturelle avec Spetters. Le style se reconnaît tout de suite, dans la crasse de l'univers de pauvres et de caniveaux, dans les thématiques brassées comme la sexualité abordée de manière crue ou encore les quêtes émancipatrices de figures féminines particulièrement marquantes. C'est à la fois très attendu au sein de sa filmographie, et dans le même temps entièrement appréciable, jamais décevant. Beaucoup d'approximations, de passages un peu trop bourrins, de facilités et de gros sabots, mais cela n'altère en rien le reste de la charge. Le pavé me paraît intact malgré toutes les faiblesses qu'on peut facilement identifier.
Le décor est posé d'emblée, comme à son habitude, par le voyage en bateau d'une famille miséreuse du XIXème siècle partie s'installer dans les faubourgs miteux d'Amsterdam. Les conditions de vie sont déplorables, la grande sœur se prostitue pour subvenir aux besoins de la famille, les vieux vicelards sont un peu partout, mais étonnamment tout cela n'enferme pas le film dans la caricature stérile et prévisible : c'est en grande partie dû au fait que Verhoeven parsème son film de moments qui désamorcent cette triste misère, au travers du comportement de l'héroïne (excellente Monique van de Ven), une jeune femme au fort tempérament qui ne se laisse pas marcher dessus, avec ses sursauts puissants de vie, ses aspirations qu'elle ne renie pas le moins du monde, et sa gouaille caractéristique, prête à envoyer chier qui ne la respecte pas. Verhoeven c'est quand même le gars capable d'insérer un plan de bite en ombres chinoises (symbole d'un violeur en puissance à ce moment-là du film) sur un mur où une femme s'amusait à faire de jolis animaux... Et ça passe très bien.
En plongeant dans les bas-fonds hollandais de l'époque, en faisant subir à l'héroïne la fange des conditions de travail sordides (la laverie, le magasin de chapeaux, le bordel, mais aussi le sanatorium), le discours s'articule autant autour d'une féminité bafouée prête à se venger que du pouvoir corrupteur de l'argent — comme en témoigne tout ce qui a trait à sa relation avec le personnage de Rutger Hauer. On retrouvera d'ailleurs ce même schéma dans Showgirls 20 ans plus tard, aux États-Unis. La survie passe par une phase d'avilissement, et le personnage de Katie est parfait pour mettre en contraste sa beauté, sous ses traits blonds et juvéniles, avec la saleté qui l'entoure. Pas du genre à se laisser faire malgré les outrages nombreux. Quelques séquences semblent sorties de nulle-part, comme la manifestation écrasée par la police, mais l'hypocrisie mondaine (le corps du pauvre est littéralement et métaphoriquement ausculté par le bourgeois) est abordée d'une manière satirique très convaincante. On pourra regretter une fin quelque peu abrupte, mais Katie Tippel restera pour moi un temps très marquant de la filmographie de Verhoeven.
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