Réalisme loachien
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le 27 mai 2020
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Kes est le deuxième film de cinéma de Ken Loach, après quelques années de carrière à la télévision. Un très beau film dans lequel le cinéaste s’attaque au vieux système éducatif britannique jugé injuste et méprisant.
Plus qu’un film sur un enfant et un faucon, Kes est un film sur l’éducation. Après des années de travail pour la télévision britannique, et deux ans après son premier film pour le grand écran, Poor Cow, Ken Loach signe Kes, en mettant dans ce film tout ce qui fera sa signature : une description critique du rapport entre la société et ses “exclus”, un regard acéré sur son époque, des personnages attachants et profondément humains, une réalité prise sur le vif (le réalisateur accorde beaucoup d’importance à l’improvisation) avec un sentiment d’urgence, un impeccable sens du rythme et une direction d’acteurs époustouflante.
Le sujet, ici, est donc l’éducation. De même que, deux ans plus tard, il s’attaquera à d’anciennes méthodes psychiatriques jugées barbares, de même, ici, ce sont les vieilles techniques “éducatives” qui sont la cible du cinéaste. Une éducation brutale, qui se fait à coups d’insultes et de sévices physiques. Une éducation qui aura pour but d’exclure encore plus celui qui semble déjà exclu de tout, le jeune Billy Casper, protagoniste du film.
La scène où le directeur convoque plusieurs élèves dans son bureau est, à ce sujet, très représentative de cette vieille éducation où les professeurs se contentent de s’écouter parler. Le directeur parle, avec beaucoup de dégoût, des changements sociaux en oeuvre en cette fin d’années 60, et montre à quel point il ne comprend rien à ce qui se déroule autour de lui. L’école devient alors un lieu anachronique qui non seulement ne prépare pas au monde extérieur, mais en plus maltraite les élèves (puisque la séance d’engueulade des élèves se terminera avec des coups de bâtons sur la paume des mains).
Un système scolaire que Loach estime hypocrite. En effet, dans la même scène, le directeur s’évertue à appliquer des règles tout en disant qu’elles sont inefficaces. Seulement, il rejette l’inefficacité du système scolaire sur les seuls élèves, estimant, en gros, que cette génération est perdue. L’éducation à l’ancienne, selon Loach, ne cherche pas à faire grandir les élèves, mais se borne à constater s’ils rentrent ou non dans un moule social, et perpétue ainsi les inégalités sociales préexistantes.
Cette hypocrisie est encore mise en avant avec une scène gentiment ironique durant laquelle, en début de journée, devant tous les élèves réunis, on lit un extrait des Evangiles. or, dans l’extrait choisi, le Christ recommande à ses disciples de faire tout l’opposé de ce que pratique cette école : de l’humanité au lieu de pratiques brutales, de la justice au lieu des punitions aveugles, de la chance donnée aux plus faibles et à ceux qui sont perdus, au lieu de jugements péremptoires.
Billy Casper se classe franchement parmi les perdants, parmi ceux qui non seulement sont en marge de cette société industrielle du Nord de l’Angleterre, mais qui, en plus, sont stigmatisés. “Au moindre pépin dans le secteur, la police débarque chez nous”, déclare-t-il. Dès le début, on le désigne comme un voleur, un bonhomme irrécupérable. Et lui répond avec cette phrase que l’on va retrouver très souvent dans la filmographie du réalisateur, et qui est caractéristique des personnages loachiens : “j’y arriverai”. Car les protagonistes de Loach s’accrochent et n’abandonnent pas, même lorsqu’ils sont confrontés à des circonstances difficiles.
Et la chance de Billy, c’est ce faucon qu’il va surnommer Kes. Dès qu’il forme l’idée d’éduquer le faucon, Billy va se rendre à la bibliothèque (pour la première fois de sa jeune vie ?), emprunter et dévorer des livres sur le sujet. Il ne cessera d’en parler autour de lui. Il parviendra même à improviser un exposé sur la fauconnerie devant la classe toute entière, avec pédagogie et (pour la première fois) de l’assurance.
C’est là que se noue l’opposition au coeur du film Kes. Entre le système scolaire rigide et intolérant, et une éducation qui prend en compte et développe les capacités des élèves. Lorsque l’on voit Billy s’exprimer ainsi devant ses camarades, on comprend facilement de quoi il serait capable si on le laissait explorer ses centres d’intérêt. S’il avait vraiment une chance, et qu’on ne le jugeait pas de façon définitive.
Parce que Billy n’est pas un “mauvais élève”, catégorie trop facile dans laquelle on fait rentrer tous ceux “qui ne sont pas très scolaires”, ou plutôt ceux pour qui l’éducation traditionnelle n’est pas efficace. Il est intelligent, il comprend immédiatement ce qu’il faut faire, il a une excellente mémoire. Mais on lui a répété des milliers de fois qu’il est incapable, que l’école est de la perte de temps pour lui. Lorsqu’il est dans un milieu plus humain, il s’ouvre, il s’épanouit complètement. C’est ce qui arrive dans ces très belles scènes avec Mr. Farthing, ce professeur qui va non pas l’engueuler, mais discuter avec lui ; non pas le ridiculiser, mais le mettre en valeur ; non pas le cataloguer, mais chercher à connaître ses centres d’intérêt. Farthing (interprété par Colin Welland, qui recevra un Oscar une dizaine d’années plus tard pour avoir écrit le scénario des Chariots de feu) est une exception d’humanité dans un système que Loach décrit comme inhumain ; en cela, il annonce le Docteur Donaldson dans Family Life.
Et le faucon ? C’est, là aussi, une approche particulière de l’éducation. Car Billy le clame haut et fort : on n’apprivoise pas un faucon. On lui laisse toute sa liberté et on le laisse choisir de venir ou pas. On le respecte. On accepte ce qu’il est.
Les qualités habituelles des films de Ken Loach sont toutes présentes dans Kes. La direction d’acteurs est exceptionnelle. tout est fait pour nous faire croire que les scènes sont prises sur le vif (ce qui, d’ailleurs, est parfois le cas, Loach aimant faire improviser ses comédiens). L’importance du milieu social est essentielle : il faut voir comment le rythme et l’ambiance du film changent suivant que nous sommes dans la rue grise, avec l’usine en seul horizon, ou en pleine forêt.
Ken Loach a aussi un sens incroyable du rythme. Pas une scène n’est inutile, et le film ne connaît aucun temps mort. Kes est incontestablement un grand film.
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le 15 mai 2020
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