Laugier peut aller se rhabiller

Kes met en scène le gosse que j'aurais voulu être, celui qui overclocke sa curiosité tête dans le guidon. Rien, mais alors rien à taper de ce qui excède son champ de recherche, ce but qu'il ne s'est même pas fixé. Ce genre de gamin, encore, qui n'a pour seul carburant qu'un flot continu d'interrogations entourées de mystères.
Il est de la trempe de ceux que je n'aime pas croiser, pour la seule et unique raison qu'ils me renvoient à ma fausse complexité, et me projettent sur grand écran le détour que je n'ai cessé d'emprunter depuis ma plus tendre enfance dans le but d'atteindre une sérénité d'esprit toujours plus hors de portée. C'est-à-dire qu'ils... ils me rendent dingue de jalousie.

J'ai visionné ce film dans l'avion qui me menait à Sydney, et si je n'ai d'ordinaire aucun problème à décrypter un film non sous-titré, je dois avouer qu'à cause des accents acérés des protagonistes de Kes il m'est arrivé de rager tout seul devant mon petit écran, repassant douze fois une scène d'1,5 secondes pour essayer de comprendre ce fameux "Gzingzxo", et ce qu'il entendait par "heruil".
Ca ne m'a pas empêché de beaucoup apprécier ce tableau peint par Loach.

L'histoire de ce gamin, peu loquace, peu brillant à l'école, issu d'une famille qui sent la bière et la renonciation, qui découvre un nid de faucons et se met en tête d'apprivoiser Kes, beau spécimen directement pêché tout en haut d'une tour en ruines. Et s'il est vrai que Ken Loach a probablement voulu dépeindre la pauvre situation de la ville minière de Barnsley, toute mon attention n'a été focalisée que par ce petit prodige d'acteur qu'est David Bradley, et son amour porté à la fauconnerie et à son faucon crécerelle.
Kes aurait pu être un long métrage muet, il m'a laissé la même impression visuelle qu'un Stalker de Tarkovski, et m'a fourni autant d’énergie et de positivisme qu'un Elephant Man de Lynch. C'est foutrement beau, quoi.

Était-ce le fait de visionner ce film en avion ? Ce pourquoi je l'adore, je n'en suis même pas sûr. Ce dont je suis certain en revanche, est que ce n'était pas la dernière fois que j'assistais à ce prodige cinématographique, qui représente presque tout ce que j'aime dans un film. Je me suis senti vieux, puis jeune, puis clairvoyant, au moins pour quelques heures, avant que l'aéroport de Singapour me happe à nouveau dans toutes sortes de formalités pénibles, et me dégueule dans un siège moelleux pour que je puisse m'y évanouir quelques heures. J'ai probablement été un faucon pour quelques instants. Ou peut-être un gosse construisant des cabanes en bois, je prends aussi. Je ne me souviens pas, mais j'ai encore trente bonnes années pour faire ce que je veux, et partir à la recherche de ma naïveté perdue. It's on!
Hexode
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le 14 juil. 2013

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